Le club des incorrigibles optimistes, par
Jean-Michel Guenassia. S'agit-il plutôt d'un roman foisonnant à facettes que d'une chronique adolescente, plutôt d'une fresque politique et sociale que d'une épopée, même ramassée ? Rangeons les étiquettes et essayons-nous à un commentaire pertinent de ce récit qui balaie durant les années 59 à 64 les états d'âme d'un adolescent de 12 à 16-17 ans, ceux de jeunes adultes exaltés et ceux d'exilés d'Europe de l'Est. Fin de la guerre d'Algérie, guerre froide, efflorescence de musiques qui bougent (rock and roll, jazz) de cinéma pour cinéphiles (films américains, indiens, japonais), amorce d'une rébellion de la jeunesse et de sa politisation, si tous ces sujets sont présents, ils ne constituent qu'une toile de fond, car on sent davantage chez l'auteur, comme une empreinte existentialiste, du goût pour la description des personnages, pour leurs trajectoires, leurs relations entre eux.
Il y a, dans cette fiction plurielle, plusieurs sphères qui interagissent, s'interpénètrent plus ou moins. Elles sont reliées par Michel, cet adolescent sensitif, réactif, rêveur, adepte de l'école de la vie, qui semble toutefois saisir le monde comme un adulte (projection de l'auteur sur son héros ?), sans excès, sans manières et à l'écoute de chacun. Il sera confronté au long du roman à la perte de tous ses proches, Frank, son frère ainé, déserteur, disparu, en fuite, Pierre tué en Algérie, Cécile, la soeur de ce dernier, plus âgée que Michel, qui disparaît après la mort de Pierre, et qui aimait Michel comme un p'tit frère. Frank et Pierre sont deux exaltés, le premier se donne entier au Parti communiste, Pierre, «Saint-Justien», rêve d'un monde de justes, d'une république des Sages, et se propose d'éliminer la démocratie et tous les cons. Michel est aussi «trahi» par son père qui, tyrannisé par son épouse, quitte le foyer, puis par Nicolas, son meilleur ami, enfin par Camille, son premier amour qui devra suivre ses parents en Israël.
En parallèle avec les deux sphères, familiale et amicale, il y a l'arrière salle du Balto, café-bar à Denfert-Rochereau, où se retrouvent, sous la protection et l'assistance financière de
Sartre et
Kessel, des exilés russes, polonais, hongrois, tchèques, grecs, chacun avec son passé, son histoire, sa douleur. Ils jouent aux échecs. Igor, ancien médecin devenu taxi parisien, qui a fui l'URSS avant son arrestation comme «comploteur» et Werner, allemand résidant en France et résistant, devenu projectionniste, sont les fondateurs du Club, Léonid, aviateur, héros national en Russie, a atterri en France par amour, Tibor, acteur et Imre son imprésario et amant, hongrois, ont fui leur pays à la recherche de la gloire. Grégorios, qui a fui le fascisme grec, se présente comme un latiniste et un helléniste distingué. Sacha seul est tenu à l'écart, et on ne saura pourquoi qu'à la fin du roman. Il n'en devient pas moins un ami sincère de Michel.
La nostalgie imprègne tous ces réfugiés, qui ont laissé femmes, enfants, amis dans leurs pays, et ne peuvent y retourner sans risquer leur vie. Mais de façon obsessionnelle, ils veulent être en règle avec leur pays d'adoption, avoir leurs papiers, voire un statut de réfugié politique (qu'ils mériteraient bien en fait) et ils s'entraident dans ce sens. Mais l'administration française est presque aussi tatillonne que celle de leurs pays d'origine.
Finalement, ce livre se lit avec facilité et un réel plaisir. La narration coule avec efficacité même si parfois l'auteur aurait pu avantageusement couper. Il y a un savoir faire certain pour ce qui est de la construction d'un récit riche et enchevêtré. Mais cela n'en fait pas pour autantf un chef d'oeuvre : anachronismes, ton et problématiques qui parfois paraissent être davantage celles d'aujourd'hui que des années 60. La fin d'un roman est ce qui me paraît souvent poser le plus de problèmes. Elle ne doit pas laisser de frustration chez le lecteur. Or la haine mortelle entre Igor et Sacha gagnerait à être mieux étayée, plus développée, compte tenu du terrible drame qu'elle occasionne.