“Les souvenirs heureux sont les plus cruels, je ne l’aurais jamais imaginé.
Avec eux me reviennent des heures oubliées. Des miettes de lumière, avant la déchirure, le grand vide.
Elles brillent dans ma mémoire comme des étoiles naines.”
Ed pouvait être parfaitement odieux. Moi aussi, et sans trop me forcer. Il préservait son territoire comme un vieux matou. À New York comme
Cape Cod, je l’ennuyais, « l’artiste » manquait d’air et réclamait du calme de l’espace. Moi aussi il m’étouffait.
Écoutez bien. Il avait pris l’habitude de tracer au sol à la craie une ligne blanche que je ne devais franchir sous aucun prétexte. Monsieur délimitait son territoire. Zone interdite ! Genius at work !
« Hopper exprime l’aliénation de l’homme au XX siècle mieux qu’aucun de ses contemporains.» (Gail Levin, Edward Hopper, Flammarion, 1985).
Toutes les toiles d'Edward commencent une histoire. Toutes me renvoient à la nôtre.
Ce couple silencieux devant la jolie maison blanche, c'est nous, forcément nous. Un vieux couple éteint comme il y en a eu, comme il y en a, comme il y en aura des centaines, des milliers, des millions... la vie est si prévisible.
Dans les années 1930, on donnait un bien joli nom aux charpentiers, aux maçons, aux plombiers… tous ces ouvriers funambules qui élevaient ces monstres de « mille » étages. On les appelait les « sky boys » (les « garçons du ciel »). Un peu de poésie dans ce monde brutal.
Notre façon si violente d'être ensemble n'était ni l'envers du paradis, ni l'endroit de l'enfer. Seulement un désert, un gouffre de solitude. Et on s'y est habitués. On s'habitue à tout.
Quand on t'interrogeait et que tu voulais bien répondre, tu expliquais que toutes tes toiles parlaient de toi. De toi toujours, de nous souvent. Nous qui n'avons connu que la violence de l'ouragan ou de la guerre.
« Chez Hopper, on a toujours l’impression que quelque chose de terrible vient de se passer ou va se passer » confie encore Wim Wenders.
« Chez Hopper, on a toujours l’impression que quelque chose de terrible vient de se passer ou va se passer »
On s’enfonce dans la profondeur d’un rêve ou d’un cauchemar. Et l’histoire commence.»…
Il faut beaucoup s'aimer et garder en réserve tant d'indulgence et de patience pour endurer un tête-à-tête quotidien de plus de quarante ans.