De nombreux écrivains turcs ont inscrit leur nom dans la littérature mondiale. Si je fais le point sur ceux qui sont présents sur ce blog, le constat est édifiant : les ennuis en Turquie sont proportionn
els à la reconnaissance littéraire des oeuvres, reflets des atteintes aux libertés récurrentes dans ce pays.
Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature a été souvent menacé et mis en examen, il a un garde du corps en permanence ;
Ahmet Altan a écrit
Madame Hayat alors qu'il était en prison ; Mahir Ünsal Eris, l'auteur de L'été jaune, prix
Sait Faik, vit actuellement au Royaume-Uni...
L'auteur de cet essai,
Nedim Gürsel, est né en Turquie en 1951, il a fait ses études à Paris. Son roman
Les filles d'Allah, paru en 2008, a fait l'objet d'un procès. Il vit actuellement à Paris mais effectue de fréquents séjours dans son pays natal et dans d'autres pays européens. Il est directeur de recherche au CNRS et chargé de cours à l'Institut national des langues et civilisations orientales. Il a écrit une quarantaine d'ouvrages dont des romans, des nouvelles et récits, traduits dans de nombreuses langues.
Nâzim Hikmet, le Chant des hommes est paru en 2002 aux éditions le Temps des Cerises et a été republié dans cette édition augmentée en 2022.
Nâzim Hikmet dont il est question dans cet essai est celui qui a eu à subir le plus d'arrestations, de condamnations et de peines de prison. Son plus long séjour en cellule d'isolement a duré une douzaine d'années, entre 1938 et 1950. Il a finalement été libéré après avoir effectué une grève de la faim, mais a dû s'exiler de nouveau ensuite. Sa notoriété lui permet alors un certain non-conformisme. Il a été toute sa vie aux côtés des mouvements révolutionnaires mais en intellectuel, en poète, pas en idéologue. Il est mort à Moscou en 1963.
« Après une longue période d'interdiction ses livres sont de nouveau publiés en Turquie, mais la démarche qui a été faite par sa famille pour rapatrier sa dépouille n'a toujours pas abouti. »
Cette édition est intéressante pour découvrir la démarche et analyser l'oeuvre de
Nâzim Hikmet qui a su intégrer dans les lettres contemporaines les traditions culturelles héritées de sociétés disparues ou transformées. Il est celui qui brise les cadres, allant de l'individu au collectif, du présent au passé, dans une poésie en vers libres, l'histoire vue dans sa dynamique, à travers les rapports sociaux et économiques. Il s'est notamment intéressé aux paysans pauvres d'Anatolie, aux femmes (dans
Paysages Humains), aux expérimentations du passé et à l'analyse historique à travers la poésie turque (dans l'Épopée du cheikh Bedreddin). Qu'un tel homme ait été jugé si dangereux pour le pouvoir renseigne sur l'influence qu'a pu exercer la
poésie sur le peuple. Première expression littéraire de l'humanité, elle utilise le rythme des mots, la transmission orale marquant les esprits durablement sans qu'il soit nécessaire de savoir lire.
Tout est sujet à poésie chez cet auteur. Son poème intitulé Autobiographie en atteste. Il donne la dimension de l'homme qui au Panthéon des poètes – le mien – serait aux côtés d'
Aragon et de
Neruda, des poètes ayant chanté l'amour de la vie et des hommes, ayant espéré et lutté pour un avenir meilleur.
Je conseille de lire en parallèle le recueil de
Nâzim Hikmet, publié en 1999 aux éditions NRF
Poésie Gallimard, intitulé
Il neige dans la nuit et autres poèmes. La préface de
Claude Roy et la postface de
Guzine Dino (la traductrice) sont passionnantes. Bien équilibré, il présente des
poèmes lyriques et aussi des
poèmes épiques. Il permet d'apprécier le génie de cet immense poète, capable de susciter des sentiments très forts, des sentiments universels dans une poésie accessible. Même ses
poèmes écrits en prison sont poignants, jamais tristes, exprimant l'amour et la foi dans l'avenir. Il est de ces hommes qui font honneur au genre humain. A lire absolument.
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