La ville est une maison démesurée qu’on se partage entre étrangers.
Les gosses étaient nombreux à tout risquer pour quelques afghanis. Comme partout où l’économie de guerre encourage les pires trafics, la pusillanimité des adultes s’appuyait largement sur cette main-d’œuvre privée de recours.
Malalaï avait été conduite à l’hôpital, elle et trois de ses condisciples. Des individus en mobylette, masqués et casqués, les avaient acculées devant l’entrée du lycée. Arborant des pistolets à eau, ils avaient soulevé le haut des tchadris pour asperger leurs visages. C’était une sorte de jeu. Ils riaient tous aux éclats. Les pistolets étaient remplis de vitriol.
Le petit peuple des réprouvés et des errants connaissait bien les sociétés de transport routier aux portes de Kaboul et le nom de code des passeurs qui acceptaient une indemnité conséquente à l’insu des entrepreneurs : mais seule une minorité pouvait s’offrir le voyage au fond d’une remorque de camion, dans une niche aménagée parmi les caisses d’agrumes, les rouleaux de tapis ou les caissons de métaux rares. Finir étouffé entre deux containers valait mieux que d’attendre l’ange Azraël dans l’indifférence générale.
Il ne veut pas faire un troisième dessin. Il secoue la tête. C’est trop de fatigue maintenant. « Tu le feras la prochaine fois » dit la pédopsychiatre du service d’hygiène attachée au Centre d’accueil. Elle range feuilles et crayons sans quitter l’enfant des yeux. La cicatrice sous l’oreille au lobe arraché ne manque pas d’expliquer son air farouche. Ce qu’il a vu, son corps l’affiche mieux que tous les tests à l’encre de Chine ou aux crayons de couleur.
On part découragé, en lâche ou en héros, dans l'illusion d'une autre vie, mais il n'y a pas d'issue. L'exil est une prison.
Pourquoi faut-il ânonner sans fin la langue des autres et se taire, ravaler ses propres mots, ses chansons. Depuis sa capture, on le traite comme le rejeton de parents imaginaires. On lui apprend des choses irréelles. Les enfants ne servent qu'à plaire aux grandes personnes.
Il aurait aimé étreindre l’ocre tendre du ciel par-dessus les toits, s’allonger nu et laisser le vent l’emporter comme un nuage jusqu’au secret de l’azur, mourir peut-être.
Dans ses veines, l'héroïne s'éploie, reine d'or qu'aucun royaume n'abrite. La délivrance ravale toute attente. Une joie vide, sans nom, taraude la mémoire. L'extase se substitue à l'ordure de vivre.
L'égalité c'est une affaire de riches,dit Tahar. Chez nous,il n'y avait que l'honneur du sang,les chèvres et la charia!