Opium poppy

Le plein air appartenait aux mâles et aux pierres.
Cloîtrées dans leurs murs et leurs voiles, les femmes, elles, finissaient par perdre toute notion du temps.
Et qui fallait-il croire, l'imam, les terroristes ou le gouvernement?
Avant son deuil, quand Malalaï n'était qu'une enfant, les épouses et les filles à marier ne devaient pas s'approcher des fenêtres; d'ailleurs toutes les vitres étaient peintes en blanc.
Il leur était défendu de sortir sans un mahram, parent vieux ou jeune.
Le fouet arrachait la peau de celles qui exhibaient leurs chevilles ou riaient en public.

Tout se passait alors dans une petite ville minière de la région de Kandahar.
Comment s'appelait-elle, sa voisine à la voix matineuse? Tout l'immeuble était fier et jaloux de sa beauté, bien que personne ne l'eût même entraperçue sous le voile.
Comme tous les jours depuis que l'école publique avait rouvert ses portes aux filles, elle et d'autres partaient joyeusement, bien cachées sous l'étoffe bleue du tchadri, afin d'apprendre un de ces métiers d'homme qui se pratiquent en dehors de la maison.
C'était défendu dans la plupart des familles, c'était même une offense. On les insultait. Les jeunes gens du quartier les frappaient à coups de poing et de pied.
Mais elles voulaient apprendre à lire et à calculer.

Au Camir, sigle aux lettres bleues qui se décline en Centre d'accueil des mineurs isolés et réfugiés, un centre de rétention comme un autre, les petits Blancs des pays de l'Est règnent sur les dortoirs et la cantine.
Les autres, venus d'Afrique ou d'Asie, manquent d'affinités. Pour faire une bande, il faut être au moins trois et parler la même langue.
Les petits blancs sont une demi-douzaine, ils ont tout éprouvé du désastre de vivre et se vengent;
La drogue et la prostitution, plus d'un en a connu la saveur de mort.

Pendant ce temps les femmes ne cessaient de préparer les aubergines au lait de brebis fermenté , le riz épicé ou les raviolis aux poireaux . Et les enfants du quartier oubliaient la guerre tandis qu'ils y jouaient , brandissant des bouts de bois mal ficelés en guise de kalachikov .

« Les gosses, on les engage, ou on les abandonne. »

L'homme en guerre n'était qu'une machine à faire plier.

Alam marche sur l'ennemi,un soleil de mort dans les yeux. Absent au monde,l'esprit ailleurs,il ne fait qu'obéir aux ordres.

Un soldat de Dieu ne saurait se dérober aux commandements.

Comme les autres enfants embrigadés,il était sommé d'obéir au doigt et à l'oeil à ses instructeurs.

Entre le lever et le coucher du soleil,outre les cinq prières rituelles,il ne se passait pas de jour sans marches forcées,combats simulés à l'arme blanche,jets de grenades de plâtre,simulations d'attaques suicides.