Les hommes ne pensent jamais. Où qu’ils soient, ils attrapent des tas de choses au passage, ils les captent et lorsqu’ils se mettent à croire qu’ils pensent, ou à écrire, elles se déversent, transformées, méconnaissables, véritablement hors de nous ; la tristesse nous étreint alors invinciblement en découvrant que nous ne sommes rien d’autre que la voix d’un déroulement que nous appelons l’histoire, une suite de faits divers, mal agencés entre eux et des créatures baptisées par les époques, rien de plus ?
Aujourd’hui ne subsiste plus que cette maison de papier, ce temple de mots, cimenté syntaxiquement, avec ses vastes couloirs de relatives, ses escaliers de gérondifs, de désinences basculant dans les futurs antérieurs, dérapant sur les propositions causales. Je traverse ses vastes couloirs de verbes auxiliaires ; je nuance les conditionnels et les subjonctifs ; je passe sous ses voûtes grammaticales et sous ses arcs-boutants de conjonctifs de subordination. Cette demeure s’appelle la langue française. Ô, palais douloureux et grandiose des mille et une nuits de la pensée !
LES PROVOCATEURS #4 : Jean-Edern Hallier