Il est plus facile de médire de l’histoire que de se passer d’elle. Dans le devenir incessant qu’est notre vie, tout se présente à nous sous l’aspect du successif, au point que, par une confusion instinctive, nous sommes portés à chercher coûte que coûte dans leur succession même l’explication des faits dont nous sommes les témoins. D'instinct aussi nous éprouvons sans cesse le besoin de nous rassurer sur la portée de nos actes en nous référant au passé, et nul argument ne nous frappe davantage que l’existence d’un précédent.
Il faut d’ailleurs en finir une fois pour toutes avec cet absurde procès de tendance : l’histoire maîtresse de « réaction » et ennemie du progrès. L’histoire, tout au contraire, enseigne la marche constante en avant, la progression perpétuelle, et si cette dernière expression n’est pas toujours, hélas ! synonyme de progrès, au sens actuel du mot, les historiens sont d’accord avec les moralistes pour le déplorer.
L’objectif le plus immédiat que se propose l’histoire est de sauver de l’oubli les faits du passé. On a dit qu’elle était la « mémoire de l’humanité », et la définition est juste, quoique restreinte à l’excès ; car collectionner les faits n’est pas une fin en soi. Il n’en est pas moins indispensable de commencer par là, et l’histoire n’y manque pas.
L’histoire ne rend pas sceptique, comme on le dit souvent, mais elle est une merveilleuse école de prudence.