Ne soyons pas naïfs, bien sûr «
l'aventure ambiguë « est une aventure intérieure , une recherche de mysticisme d'abord dans une école coranique, puis dans une université de philosophie française.
Mais l'histoire commence par la maltraitance du Maitre sur un petit garçon, Samba Diallo, qui récite parfaitement le Coran, sauf que subitement la langue lui fourche, et se termine par son exécution parce qu'il prie mais n'a pas pris la position de la prière.
Les mauvais traitements divers, se faire arracher l'oreille, se faire brûler par une bûche ardente, pour qu'il mette plus de conscience dans ses prières, Samba est trop noble pour s'en offusquer et pour montrer sa douleur. Il grandit donc dans la souffrance. Dans l'école coranique appelée Foyer-Ardent. Ça ne s'invente pas.
Et connaît (grâce, ou en dépit) de ces sévices l'illumination, ce que
Freud appelle le sentiment océanique, l'extase totale devant un ciel embrasé par exemple. ( Et si
Freud avait connu la somptuosité de la nature africaine, il en aurait fait plus que devant l'Italie qui lui avait révélé sa beauté)
Toujours le feu, celui qui brûle l'enfant Samba Diallo, « les dalles incandescentes de la géhenne promise aux mécréants » qui justifie la brûlure que lui inflige le Maitre, (alors que le petit n'a rien à voir avec cette folie déguisée en religion), les rayons rouges d'un coucher de soleil sur le sable qui semble de l'or en ébullition, le feu d'artifice, le grand brasier lorsque sa famille décide de le rapatrier et de lui faire suivre l'école des étrangers, les blancs, le feu ardent qui prend possession de l'âme, le soleil rouge du visage d'Adèle.
de la même façon que Samba Diallo est écartelé entre le mysticisme islamiste basé sur les sévices et la philosophie de Pascal et de
Descartes, il partage son intérêt lorsqu'il est en France entre une blonde aux yeux bleus, et une métisse aux longues jambes. Aucune des deux ne le retient, pas plus que ne le retient l'enseignement inachevé du Maitre,(ouf) ni la philosophie.
De même,
L'aventure ambiguë met en avant deux personnages presque similaires, le fou des Diallobés, qui assassine Samba, et le fou rencontré à Paris, qui radote.
Ecartelé entre deux cultures, Samba Diallo analyse non pas la différence de cultures entre l'Occident et l'Afrique, mais la différence de pensée, sachant que l'homme est un, définitivement. Et en cela Pascal lui est proche, même s'il se demande si la grâce vient de Dieu, au bon plaisir de Dieu, ou si c'est l'homme qui choisit sa voie vers le divin.
Descartes, lui, ne l'aide pas avec sa volonté de vouloir arriver à prouver l'existence ou non de Dieu en suivant les chemins de la raison. Trop rationnel, ce
Descartes.
Cheikh Hamadou Kane a commenté dans son second livre «
les gardiens du temple » que le meurtre de Samba Diallo par le fou du village est bien un sacrifice réprouvé par tous et suivi d'un procès, puni d'une peine de mort.
Surgit par contraste la figure de la Grande Royale, personnalité extraordinaire, forte femme qui a pacifié les tribus du nord du Sénégal et qui s'efforce de protéger son neveu Samba, contre les exactions du Maitre sadique. Elle pense qu'il est temps d'apprendre à vivre aux enfants car, dit elle « je pressens qu'ils auront affaire à un monde de vivants où les valeurs de la mort seront bafouées et faillies. »
Les valeurs de l'Occident, même si elles sont détestables, sont incontournables. Elles apportent la vie, pas le supplice inutile.
Il faut, dit elle, y « aller apprendre chez eux l'art de vaincre sans avoir raison. »
Et c'est Samba Diallo qui en est chargé, il doit à la fois comprendre l'Occident et préserver et transmettre les valeurs de sa culture.
Un fou de dieu a mis fin à cette double mission.
Cheikh voulant dire sage, c'est bien de sagesse qu'il s'agit et s'il commence son roman par la scène insoutenable du supplice d'un jeune innocent au nom de la religion, et le termine par son exécution sans raison, je voudrais y lire une critique de l'endormissement spirituel de l'Occident et surtout, surtout, un pamphlet contre le fanatisme islamique.