J’ai pénétré dans les ténèbres du génocide. J’ai continué à poser des questions et des sous-questions concernant soit Claudine, soit sa famille. Quelle est l’origine des tueries, comment les gens se cachaient sous les papyrus avant le soleil, comment ils se déplaçaient dans l’eau en compagnie des moustiques, le manger cru pendant les veillées, comment ils sont parvenus à en réchapper tandis que le grand nombre a été coupé ? Je suis allée au mémorial de N’tarama. Aucune curiosité de descendre dans les marais. Au fond, je n’aspire pas à connaître les détails trop palpables.
Pour un jeune, mieux vaut naître dans une famille de rescapés, parce que trop de jeunes hutus sont contaminés par les actions de leurs parents. Ils grandissent dans la honte ou de mauvaises pensées.
Vigilance, n'écoutons pas ceux qui prétendent la page tournée. On ne compte pas les anciens tueurs qui feintent. L'humain ne se débarrasse jamais d'une existence animale passée.
Face à son papa, le respect traditionnel d'un enfant équivaut à la crainte,
Toute personne civilisée doit endosser ses actes individuels. Cependant, la vie vous propose parfois des actes que l'on ne peut endosser à haute voix.
Chez nous, la boisson dégorge la gêne de ce qu'on a mal vécu.
Moi, je me rendais au pénitencier de Rilima chaque mois. C'était une affaire de cinq heures de vélo à aller, les bousculades limitaient les conversations avec le papa à cinq minutes. On s'échangeait des mots timides et de courtes nouvelles.
En Afrique, le temps polit les histoires à l'aide de mots merveilleux. Plus elles datent, plus elles brillent.
Dans la famille, je ne tranche pas les décisions à la place du papa car je suis né enfant face à la maman. Pour le commerce de boisson, c'est bien moi qui parle fort, elle qui m'épaule.
On peut quand même se demander comment Dieu si bon et tout-puissant a fermé l'œil sur pareilles tueries.