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EAN : 9782359053098
208 pages
Ecriture (09/01/2020)
3.97/5   15 notes
Résumé :
L'incroyable enfance de Louis Armstrong, le génie du jazz. 1900.
Emma Karnovsky a quitté la Lituanie antisémite pour émigrer à La Nouvelle Orléans. Très vite elle perd ses deux jeunes fils : le cadet, David, meurt d'une pneumonie et son aîné, Alex, rejoint les pionniers du sionisme en Palestine. Malheureuse, Emma vit sans but aux côtés d'un mari dont elle s'éloigne peu à peu. C'est alors qu'elle rencontre par hasard un gamin des rues surnommé « Satchelmouth ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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'Musique, Maestro ! Il paraît qu'elle adoucit les moeurs,
met du baume à l'âme, Moi j'y crois.


Armstrong, je ne suis pas noir
Je suis blanc de peau
Quand on veut chanter l'espoir
Quel manque de pot
Oui, j'ai beau voir le ciel, l'oiseau
Rien, rien, rien ne luit là-haut
Les anges zéro
Je suis blanc de peau
Armstrong, tu te fends la poire
On voit toutes tes dents
Moi, je broie plutôt du noir
Du noir en dedans
Chante pour moi, louis, oh oui
Chante, chante, chante, ça tient chaud
J'ai froid, oh moi
Qui suis blanc de peau
Armstrong, la vie, quelle histoire?
C'est pas très marrant
Qu'on l'écrive blanc sur noir
Ou bien noir sur blanc


Au choix à écouter interprété par le Grand Nougaro ou par la Grande Maurane, un hymne au Grand Louis, oh OUI !


La trompette de Satchmo, premier roman écrit sur le tard par Michèle Hayat et éditée dans la collection Ecriture via les éditions de l'Archipel, se trouvait dans ma bibliothèque, je l'ai donc sorti de mon chapeau pour faire la manche et mettre un peu de tempo dans ce temps gris pas très rigolo.


Nous sommes à l'aube du XXème siècle où la ségrégation bat son plein envers les juifs sur un continent, en Europe orientale, et envers les noirs sur un autre, l'Amérique. L'histoire est une continuelle répétition des mêmes notes jouées différemment selon les temps.


Ce roman est l'histoire romancée d'une rencontre entre deux amoureux de musique. Ester, pianiste juive et blanche de peau, la trentaine, épouse et mère de famille a perdu tous ses repères en fuyant un pays où elle élevait tranquillement ses enfants, s'occupait de son mari et exerçait le métier de couturière auprès des belles dames de la société Lituanienne jusqu'au jour où les juifs ont commencé à être persécutés, le petit battu par ses camarades, la boutique du mari vandalisée et mise à sac et les commandes de belles robes taries. L'exil semble la seule solution.

Louis, gosse maigrichon, une bouche énorme toute noire de 7/10 ans est né à la Nouvelle-Orléans où la misère est 'plus belle' bercée par l'alcool, le sexe, les masques du carnaval et bien sûr la musique, nous parlons de celui qui deviendra Satchmo, le grand Louis Armstrong.


Comme quoi une particularité, ici physique, complexe d'enfance, peut devenir une force quand l'enfant grandit guidé par de bons génies (fées) et en devient un lui-même. Evidemment tout le monde ne devient pas Louis, rien n'empêche d'essayer ou de l'écouter et d'y rêver


Hymne au jazz, aux lettres de noblesse que Louis lui a apportées et au chemin d'une femme, Ester qui a compris son génie, l'a fait éclore et s'en est servi aussi comme d'une consolation à sa propre vie lorsqu'elle a perdu ses deux fils (comment, je vous laisse le découvrir), s'est retrouvée prise au piège d'une vie et d'un pays qu'elle n'avait pas choisis avec un mari qu'elle n'avait pas choisi non plus, Morris, un brave gars dans le fond, elle s'en apercevra plus tard, et dont Louis a illuminé pendant un temps l'existence à Storyville avant qu'elle ne reprenne un autre bateau, délestée de ses fardeaux, illuminée par l'espoir d'une nouvelle vie, d'une nouvelle génération en Palestine, comprenant qu'une nouvelle histoire l'attendait ailleurs, qu'il était temps de tourner la page de celle-ci.


En attendant, Danse Louis Danse Chante Louis Chante et surtout Joue Louis Joue. Tu seras la naissance et la noblesse du jazz, le premier à ouvrir la porte pour que blanches et noires se rencontrent sans frontières de races, de religions ou de couleurs sur tes notes au son de ton cornet (trompette). Tu illumineras de tes immenses dents blanches nos nuits noires et autour de ton cou brillera l'étoile de David.


Voilà c'est ainsi que j'ai perçu cette lecture qui a été un agréable moment sans prétention, avec de l'émotion, de la tendresse et des notes intemporelles, celles du Jazz que j'affectionne et de la transmission, des mains tendues vers d'autres, le temps d'un roman, le temps d'une vie, le temps d'une histoire, le temps d'une pluie.


Tournons-nous vers Ester, celle qui a cru au talent de Louis et s'est battue pour lui en en oubliant un peu les siens, la perfection aurait été lassante.


Deux moments dans sa vie à elle marque son évolution car finalement une des 'stars' de cette histoire, c'est une femme, son courage, ses défaites et ses victoires.

* Tilie (Ester) Karnofsky who taught Louis Armstrong how to sing *


"Ester finit toutefois par sombrer dans le sommeil et fit un rêve étrange.
Storyville était noyée dans une brume inhabituelle. Les restaurants, les bars, les dancings ne désemplissaient pas. Les lumières de leurs enseignes vacillaient telles des chandelles, des ombres de danseuses dénudées se trémoussaient sur une musique qu'elle n'entendait pas. Sur le char derrière lequel devait défiler Louis, des prostituées prenaient sur leurs genoux un Morris grimaçant qui palpait leurs seins énormes. Louis suivait, tête baissée, tout petit, vêtu de noir ; aucun son ne sortait de sa bouche ni de son cornet.
Il se tourna vers Ester : il avait le visage de David, son fils disparu. Mayann pleurait. de ses mains, Mme Karnofsky protégeait son visage de la pluie de perles qui s'abattait sur elle : elle était lapidée par une poignée de femmes qui la pointaient du doigt."


A l'aube de s'embarquer sur un autre bateau vers une nouvelle destination, une nouvelle tranche de vie


"Tu avais raison, Louis. Grâce à toi, je n'ai pas du tout le coeur triste !
J'ai été transportée, comme tout le monde ici.
Tes variations lumineuses valaient toutes les partitions du monde.
Tes notes, tu les vis au moment même où tu les souffles.

En sortant du restaurant, elle sut qu'elle avait mis un point final à sa « mission ».
Cette nuit-là, elle dormit d'un sommeil profond et apaisé."


Il s'agit d'un roman loin d'une biographie exacte qui m'a donné envie de redécouvrir Louis, sa musique. Grand plus pour ce point. Des horizons qui ouvrent d'autres horizons.


Comme je trouvais qu'il ne pleuvait pas encore assez sur la Belgique,
je me suis dit que j'allais chanter un peu et faux, avec Louis, pour rajouter ma maigre contribution à toute cette eau tombée du ciel et conjurer le sort.

Car faut (pas) rigoler, j'aime la lumière le soleil la vie et la musique ! Ce 10/08/2021, le soleil était de retour, Magic Louis !
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Depuis mes 12 - 13 ans et mon premier électrophone, j'écoute assez régulièrement Louis Armstrong. J'ai le regret de ne l'avoir jamais vu sur scène, alors que j'ai pu apprécier de nombreux autres musiciens de jazz lors de "la grande parade du Jazz de Nice" dans sa meilleure époque... Fats Domino, B.B. King, Art Pepper, Dave Brubeck, Chuck Berry, Michel Pettruciani et j'en passe...
Tout ceci pour vous faire comprendre mon inévitable choix sur ce livre lors du dernier masse critique.
Merci Babelio et les éditions Écriture pour l'envoi de cet ouvrage.

La trompette de Satchmo est une biographie romancée sur une partie de la vie d'Ester Karnofsky.
En 1898, Ester est mère de deux garçons et épouse de Morris Karnofsky, artisan travaillant l'ambre, elle aime sa ville et son travail de couturière pour la bourgeoisie locale. Notre Ester se satisfaisait totalement de sa vie à Vilna en Lituanie.

Je vois d'ici le gros point d'interrogation suspendu au-dessus de vos têtes... Ester Kar... machin-truc ? Quel rapport avec un Louis Armstrong, né en 1901 à la Nouvelle Orléans en Louisiane ?
J'y viens...

En cette année 1898, l'ambiance change pour la communauté juive de Vilna et pour notre famille Karnofsky... jusqu'à devenir intenable. En 1900, ils quittent la Lituanie et sur l'incitation de Mr Samuelson,
un client américain de Morris, ils atterrissent à ... la Nouvelle Orléans.

Ah ! voilà !... un premier lien peut se faire avec le trompettiste (pas encore né à ce moment là).

Ce nouveau départ ne se place pas sous les meilleurs auspices, leur seul contact étant décédé juste avant leur arrivée. Ester, déjà bien anxieuse avant de partir a beaucoup de mal à s'adapter à ce quartier français accolé à celui de Storyville, majoritairement noir et aux activités tournant autour de l'alcool, du jeu et de la prostitution. Morris a pu racheter le magasin de Mr Samuelson et il réussit à y faire prospérer une brocante.
Après des drames que je ne vous livre pas, Ester déprime jusqu'à ce qu'une nouvelle motivation... nommée Louis Armstrong... la sorte de sa torpeur.

J'ai beaucoup aimé cette histoire vraie (romancée) qui a rapproché des individus issus de communautés rejetées ou maltraitées, l'une comme l'autre.
Ces belles humanités qui effacent racisme ou antisémitisme et agissent seulement avec leur coeur.

Louis Armstrong était généreux, pas seulement avec sa musique... et toute sa vie, il a porté sous ses chemises, une chaîne en or avec une étoile de David, en reconnaissance de ce qu'avait fait les Karnofsky pour lui et ne jamais oublier les valeurs transmises.
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Sur un air de jazz New Orleans

Pour son premier roman Michèle Hayat a retrouvé un épisode déterminant de la vie de Louis Armstrong et nous entraîne à la Nouvelle Orléans au début du XXe siècle dans les pas d'une famille lituanienne condamnée à l'exil.

Morris et Ester Karnofsky mènent une vie plutôt agréable à Vilna. Habile artisan, Morris réalise des bijoux en ambre qu'il vend jusqu'aux États-Unis tandis qu'Ester fait de la couture. Son savoir-faire lui ayant même permis de «fidéliser une clientèle non juive avec laquelle s'étaient noués des liens d'amitié». Mais à l'orée du XXe siècle une menace nauséabonde plane sur la Lituanie, l'antisémitisme. D'intimidations en exactions, le danger gagne de jour en jour en gravité, si bien que la décision la plus raisonnable est de partir.
Morris contacte alors monsieur Samuelson, un client régulier avec lequel il avait fini par nouer des liens d'amitié. Ce dernier lui propose alors de venir s'installer à la Nouvelle-Orléans où il est persuadé qu'il pourra trouver un avenir meilleur.
C'est le coeur gros que la famille embarque pour le Nouveau Monde avec les quelques économies que leur a rapporté la vente de leurs biens.
L'exil est toujours une souffrance et les Karnofsky vont en faire l'amère expérience. Installés dans une ville qu'ils ne connaissent pas, dans un quartier pauvre où règne la violence et où le gagne-pain de nombreuses femmes est la prostitution, ce n'est pas la volonté farouche de réussir et le discours positif de Morris qui va changer l'opinion de ses fils en particulier. Ester aussi doute d'avoir fait le bon choix.
Mais au fil des jours et des rencontres, les choses vont peu à peu s'améliorer.
Et même si l'aîné de la famille décide de partir s'installer en Palestine, ils commencent à trouver leur place dans cette société cosmopolite.
Quand Ester croise un petit noir au regard vif et décide de l'aider, elle ne sait pas encore – et lui encore moins –qu'elle va contribuer à faire de ce gamin le grand Louis Armstrong.
Michèle Hayat, en choisissant de ne pas nous proposer une biographie du jazzman a trouvé un angle très original pour son premier roman. C'est à travers le regard des Karnofsky que l'on va suivre l'ascension du jeune homme auquel Ester a offert sa première trompette. du coup, ce roman devient aussi celui de la solidarité entre les minorités, une nouvelle incarnation du rêve américain et un portrait du sud des États-Unis au début du XXe siècle. Les émotions des uns venant se mêler à celles des autres, couronnées par le parcours de «satchmo» qui, comme nous l'apprend Wikipédia est la contraction de satchel-mouth, littéralement bouche-sacoche, qui n'oubliera jamais celle qui s'est battue pour lui mettre le pied à l'étrier. N'oublions pas de souligner, en guise de conclusion, que la romancière s'est parfaitement documentée et que l'histoire qu'elle nous livre est en grande partie vraie, sans que jamais le souffle romanesque n'en pâtisse. C'est, vous l'aurez compris, très réussi.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Vous connaissez Louis Armstrong ?
Pas l'homme qui marcha sur une lune de papier mâché, filmé par des caméras dignes des meilleures emissions TV d'Ushuaïa, ce qui était avouez-le, une performance en 1969. Ni celui qui pédalait plus vite que son ombre et atteignait à une vitesse vertigineuse les sommets alpins, avant d'être traîné dans la boue par la même presse qui l'encensait aveuglément du temps de sa gloire. Non, ici, Michèle Hayat va vous parler du vrai, de l'unique, du seul Armstrong qui mérite nos applaudissements, Louis.
Né en Nouvelle Orléans, comment aurait-il pu échapper au jazz, cette musique à qui les noirs ont donné ses lettres de noblesse.
Un roman c'est mieux qu'une biographie.
Dans une bio, vous n'avez pas le droit d'inventer, de combler les vides, d'enjoliver ou de dramatiser. Vous devez être sérieux, appliqué,  rigoureux. le lecteur de bio il veut de la vérité vraie... du vécu sûr...(je ne dis pas là que l'auteure de ce livre n'a pas fait un travail sérieux, au contraire, vu la vitesse à  laquelle je l'ai lu, elle a plutôt fait du bon boulot),
Mais, comme les témoins de l'époque se font plus que rare, ne vaut-il pas mieux romancer ?
Qui peut dire se qui se passa exactement en ce début du 20ème siècle quand la famille Karnofsky débarqua de sa Lituanie natale, poussée sur cette terre d'Amérique par un antisémitisme précurseur d'années sombres.
Qui peut dire pourquoi Ester et Morris, après un drame et le départ de leur second fils pour la terre promise, s'attachèrent à ce môme de huit ans, fils d'une prostituée, petit garnement qui erre dans les rues et que les voyous ont surnommé "Satchelmouth" qui deviendra "Satchmo", surnom qui accompagnera le musicien tout au long de sa carrière.
La trompette de Satchmo, c'est l'histoire de ces gens, ce couple qui offrit à ce gamin noir, chez qui ils avaient deviné le talent musical, son premier cornet à pistons, sa première trompette.
Michèle Hayat nous offre un roman sympathique, on y suit avec plaisir les premiers pas d'un des emblématiques ambassadeurs du jazz, bien sûr, mais le personnage principal est bien Ester Karnofsky, cette femme sans qui, qui sait, rien ne serait peut-être arrivé.
C'est une excellente idée, d'aller chercher ce personnage dans la vie foisonnante de l'artiste et d'en faire l'héroïne de ce roman.
Ce livre c'est les débuts du grand Louis, c'est aussi un regard sur l'Amérique, les noirs, les blancs, la communauté juive, un récit qui s'étale sur plus de vingt ans.
Michèle Hayat n'en a pas fait un livre à la gloire du trompettiste, elle n'en a pas fait un saint homme, je pense qu'elle le dépeint honnêtement, quant aux autres personnages,  elle sait les rendre attachant.
Elle rend ici hommage à cette "mamatou" (mama two) comme l'a surnommée tendrement Louis, cette femme qui, semble-t-il, a tellement compté dans sa vie...
Et dans mes enceintes résonnent les notes de What a wonderful world et la voix inimitable de son magistral interprète.
La trompette de Satchmo, assurément une belle découverte littéraire de ce début 2020.




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Vilnius , début du vingtième siècle , les pogroms contre les juifs se multiplient, la famille Karnovsky doit se résoudre à s'exiler .
Ce ne sera pas facile pour ce couple qui croyait qu'ils étaient parfaitement intégrés en Lituanie , Morris avec son magasin de pierres précieuses et Emma avec ses talents de couturière .
Une opportunité se présente , émigrer en Louisiane .
La vie est difficile pour la famille , ils vont perdre un fils à la santé fragile .
Et puis le destin va donner un petit coup de pouce , elle va faire la connaissance d'un petit garçon noir , livré à lui-même , surnommé Satchmo , à cause des ses lèvres proéminentes.
Emma va le prendre sous son aile et lui permettre de prendre des cours de trompette , et oui il s'agit bien de l'histoire du futur Louis Armstrong , ce musicien inoubliable.
J'attendais peut être un peu trop de cette lecture , ce n'a pas été le coup de coeur attendu mais à chacun son avis n'est ce pas .
En tout cas , cette lecture donne envie d'écouter Louis Armstrong , de s'arrêter un moment pour rêver à cette époque , à cette Louisiane révolue .
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Les musiciens prirent place, suivis des deux trompettistes. Armstrong se plaça derrière l'orchestre et Joe avança sur le devant de la scène pour entamer "Chimes Blues", sous les applaudissements. Mais il n'arrivait pas à chauffer la salle. Armstrong suivait l'orchestre sagement, sans donner le meilleur de lui-même. Au septième chorus, quelqu'un s'écria dans la salle :
- Hey, Joe, laisse un solo au jeune trompettiste !
Armstrong s'avança vers son maître.
- Vas-y, vas-y, joue hot ! Ne te laisse pas impressionner, lui chuchota Lil au passage.
Petit à petit, comme si l'on venait de soulever le couvercle d'une marmite, tout s'anima. Les chaises et les tables se mirent à bouger, les murs vibrèrent, les buveurs de la galerie renversèrent leurs boissons sur ceux du dessous, les spectateurs envahirent la piste et entrèrent en transe. Sous des applaudissement frénétiques, Louis remercia Joe et s'adressa au public :
- Aujourd'hui, mes amis, mon rêve est devenu réalité !
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INCIPIT
Vilna, 1898
Ester Karnofsky ne travaillait jamais le jeudi ; à Vilna, c’était jour de marché et pour rien au monde elle n’aurait manqué ce rendez-vous sur la place de la cathédrale. Elle exposait des colifichets en ambre que Morris, son mari, fabriquait dans sa boutique de la rue Pilies. Habile artisan, il découpait la résine minérale avec une extrême précision, pour laisser intacts les fossiles incrustés dans la matière. Son atelier fournissait de nombreuses boutiques de Lituanie et parfois même d’Amérique. À La Nouvelle-Orléans, par exemple, Mr Samuelson lui commandait des bijoux en ambre de la Baltique deux ou trois fois par an et, entre eux, s’était établie une amitié cordiale.
Elle, Ester, était couturière de la bourgeoisie lituanienne. Ces dames ne manquaient jamais, le jour de marché, de lui prendre un colifichet et de lui faire la conversation, souvent couverte par le son des cloches.
Une partie de la place était réservée à l’habillement et à l’artisanat, l’autre, aux maraîchers, aux poissonniers et aux commerçants de denrées alimentaires. Devant la cathédrale, les petites marchandes de fleurs disposaient leurs bouquets et s’amusaient à qui sauterait le plus de marches.
On croisait des gens de la ville, des ruraux, des bourgeoises élégantes, des femmes de la campagne en sabots avec un fichu sur la tête et des provinciales qui avaient l’air de sortir d’un comité de salut public.
Ester aimait ce mélange des genres et l’agitation de cette place qui prenait vie, rompant avec l’austérité du dimanche au sortir de la messe.
Dans le centre de Vilna, presque tout le monde se connaissait, au moins de vue. Les maisons souvent basses, aux volets de couleur, s’alignaient sur d’étroites rues pavées surplombées de clochers gothiques et baroques ou de bâtiments néoclassiques. L’histoire de cette architecture séculaire, Ester et Morris l’avaient découverte au fil de leurs promenades.
La communauté juive, dont les Karnofsky faisaient partie, représentait le cœur de Vilna, avec ses traditions, ses écoles hébraïques, son centre culturel et ses synagogues où l’on ne manquait jamais de remercier le bon duc Gédiminas d’avoir accueilli, au XIVe siècle, des juifs en errance.
Les Karnofsky habitaient dans la rue très fréquentée du Gaon de Vilna, le grand sage juif du XVIIIe siècle.
À vingt-cinq ans, Ester était maman d’un petit garçon de deux ans, Alex. Son mari, de dix ans plus âgé, lui offrait une vie paisible, sans soucis. Grâce à son talent de couturière, elle avait réussi à fidéliser une clientèle non juive avec laquelle s’étaient noués des liens d’amitié.
Son salon était encombré de mannequins en bois, de tissus, de catalogues de mode et d’une machine à coudre à pédale. Son métier lui permettait de rester chez elle et de s’occuper de son enfant.
Si la population non juive lituanienne n’appréciait pas beaucoup ces « Litvaks », avec leur yiddish et la place qu’ils occupaient à Vilna dans des commerces florissants, les Karnofsky n’avaient pas encore eu l’occasion de se plaindre. Ils étaient traditionalistes mais peu religieux. Intégrés à la culture lituanienne, ils avaient décidé d’un commun accord que, plus tard, leurs enfants fréquenteraient l’école publique.
Cet après-midi-là, Ester préparait deux essayages importants, ceux de Mme Glaubitz et de sa fille, des clientes de la haute bourgeoisie qui se rendaient régulièrement chez elle pour renouveler leur garde-robe. Les relations étaient courtoises, respectueuses, et jamais elle n’avait entendu de leur part des insinuations antisémites. Mère et fille venaient ensemble la plupart du temps, les bras chargés de magnifiques tissus qu’elles déposaient sur les fauteuils de Mme Karnofsky. Elles consultaient les catalogues, essayaient les toilettes sous l’œil avisé d’Ester. Les essayages terminés, elle leur servait du thé avec un ou deux gâteaux faits maison, discutant de choses et d’autres dans la bonne humeur. Puis, Mme Glaubitz et sa fille prenaient congé en remerciant Mme Karnofsky et en se flattant d’avoir trouvé « leur couturière ».
Quand Ester arrivait aux finitions des robes, elle passait à la boutique de Morris et choisissait pour ses clientes des colliers en ambre coloré assortis à leur toilette. Souvent, elle dessinait elle-même les modèles qui seraient en parfaite harmonie avec les vêtements.
Quelquefois, les « dames de la haute », comme les appelait Mme Karnofsky, l’invitaient chez elles pour un thé, un concert de piano ou un après-midi culturel. À vrai dire, Ester n’y était pas très à l’aise. Elle n’aimait pas cette ambiance mondaine, mais elle refusait rarement ces invitations qui lui avaient amené de nombreuses clientes.
Mais en cette année 1898, la situation commença à se dégrader. C’est Morris qui, le premier, sentit un vent mauvais se lever sur Vilna. Sa clientèle diminuait, devenait agressive, revendicative. Elle se plaignait des prix, du travail imparfait des bijoux. Son fournisseur d’ambre rechignait à lui envoyer la marchandise, prétextant des retards sur l’approvisionnement.
Au début, Morris n’en parla pas à Ester. Elle avait mis au monde un deuxième garçon, David, âgé maintenant de cinq ans, et elle avait bien du mal à concilier son travail et l’éducation de ses enfants. Il ne voulait pas l’inquiéter.
Mais les choses allèrent très vite. Un après-midi, Ester trouva sur sa porte un papier la traitant de « sale juive ». Dans les escaliers, on se mit à la saluer du bout des lèvres ou à l’ignorer. L’hostilité grandissante des voisins pesait sur les Karnofsky comme un danger imminent. Ester était de moins en moins la bienvenue aux manifestions mondaines de ses clientes. Mme Glaubitz envoya même quelqu’un reprendre les tissus qu’elle lui avait confiés.
La vie devint oppressante pour la communauté juive. Une synagogue avait été vandalisée, la plaque apposée en mémoire du Gaon de Vilna brisée et deux rabbins avaient été agressés, dont un mortellement.
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Après un voyage long et éprouvant, le bateau entra dans le port de La Nouvelle-Orléans. La famille Karnofsky était épuisée. L’agitation des quais du Mississippi, la chaleur moite, le débarquement de marchandises des cargos, le bruit des sirènes, les cris des dockers dégoulinant de transpiration les agressèrent violemment. Dans ce tumulte, ils posèrent leurs bagages.
Perdus sur ce quai immense, noyés dans une foule colorée, bruyante, parfois grossière, ils cherchèrent désespérément Mr Samuelson. Peut-être ne le voyaient-ils pas? Ils l’attendirent longtemps, en vain.
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Nouvelle-Orléans, décembre 1899
Cher Monsieur,
J’ai bien reçu votre lettre qui m’a beaucoup attristé. Nous faisons affaire depuis tant d’années ! Je n’ai jamais eu à me plaindre de votre compétence et de votre honnêteté. Ne vous excusez donc pas.
Depuis quelque temps, je pense à prendre un associé. Ma femme est décédée il y a deux ans. Nous n’avons pu, hélas, avoir d’enfants. Je me fais vieux et j’ai de sérieux problèmes cardiaques. Je vous propose, si La Nouvelle-Orléans vous tente, de partager mon activité. J’en serais très heureux. Je suis sûr que nous ferons de l’excellent travail tous les deux.
Ma bijouterie se trouve dans le quartier noir, qu’on appelle « Storyville » ou « District », mais il vaudra mieux chercher votre appartement dans le quartier français.
Réfléchissez à ma proposition. N’hésitez pas à me poser des questions. Je suis à votre disposition pour vous fournir tous les renseignements nécessaires.
Dans l’attente du plaisir de vous lire, je vous prie de croire, cher Monsieur Karnofsky, en mes sentiments les meilleurs.
Samuelson
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- Comment tu t'appelles ?
Il secoua la tête :
- Pas Satchelmouth ! Je m'appelle Louis Armstrong, c'est joli, hein ?
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