Sarah n'avait pas dormi de la nuit. Le film de la journée repassait sans cesse dans son esprit : les hurlements de Laurie à vous figer le sang ; la photo déchirée ; l'arrivée des policiers ; Laurie qu'on emmenait menottes aux poignets ; Justin jurant qu'il la ferait relâcher et la prendrait sous sa garde tandis qu'ils suivaient la voiture de police en direction de Clinton. L'aube se levait quand elle finit par s'endormir, d'un sommeil pénible, agité, dans lequel elle rêva de salles de tribunaux et de verdicts de culpabilité.
Lorsque Sarah revint de l'hôpital et pénétra dans la bibliothèque le lendemain après-midi, rien ne lui permettait de deviner que désormais chaque mot prononcé dans cette pièce mettrait en action un système sophistiqué sensible à la voix et que toutes les conversations seraient retransmises à un enregistreur dissimulé dans la penderie de la chambre d'amis.
Il y avait à peine dix minutes, la petite Laurie Kenyon, une enfant de quatre ans, était assisse par terre en tailleur, dans le petit salon où elle jouait à placer et déplacer les meubles dans sa maison de poupée. Elle en avait assez de s'amuser seule et aurait bien aimé aller à la piscine. Depuis la salle à manger lui parvenaient les voix de sa maman et des dames qui allaient tous les jours à la même école qu'elle à New York. Elles parlaient et riaient tout en déjeunant.
L'expression du visage de sa sœur avait fait comprendre immédiatement à Laurie que ses parents étaient morts. Elle s'était mise alors à gémir : "C'est de ma faute, de ma faute", semblant ne pas entendre la voix pleine de larmes de Sarah qui lui répétait qu'elle ne devait pas sentir coupable.
Laurie franchit le vestibule sur la pointe des pieds et jeta un coup d'oeil dans la salle à manger. Maman et ses amies étaient encore en train de bavarder et de rire.
Elles ne jetérent même pas un regard à Laurie. Elles aussi étaient méchantes. La jolie boîte à musique était posée sur la table. Laurie s'en empara. La porte d'entrée était distante de quelques pas à peine. Elle l'ouvrit sans bruit, traversa la véranda en courant et s'elança le long de l'allée vers la route.
Vous savez, docteur, il existe des gens qui apportent le chagrin et la douleur au reste de l'univers.
Il faut y aller en étant convaincu que ton client est aussi innocent que l'enfant qui vient de naître.
- Il y a eu un refus catégorique de la part des parents, répondit le Dr Carpenter, et par conséquent aucune thérapie.
- Typique du comportement de l'autruche qui prévalait il y a quinze ans, plus le fait que les Kenyon étaient des parents âgés, fit remarquer Donnelly.
Carpenter n’était pas certain de ce qu’il voyait. Il y avait quelque chose de différent chez Laurie Kenyon, un côté alerte et décidé qui tranchait totalement avec la jeune fille abattue et désespérée qu’il avait vue la semaine dernière.