Le progrès technologique et ses possibles et inquiétantes dérives éthiques sont au coeur du dernier roman de
Florence Hinckel, qui ne présente en rien, ou si peu, une intrigue sentimentale, comme son titre pourrait le laisser croire, mais aborde bien davantage le coeur comme organe, que les avancées scientifiques pourraient bien un jour parvenir à faire battre bien au-delà de la durée d'une vie humaine.
En 2030, les technologies de pointes permettent désormais aux hommes de bénéficier de toutes sortes d'organes artificiels, pour réparer des accidents, pallier aux déficiences du corps, compenser un handicap, prolonger la vie des malades. Nombreux sont les humains équipés d'une prothèse bionique pour remplacer un membre perdu, mais les organes vitaux artificiels sont également devenus un recours fréquent pour prolonger les défaillances des organes naturels. La jeune Leila en est devenue l'exemple ultra médiatisé le plus célèbre : 99 % de ses organes vitaux sont désormais artificiels, seul son cerveau demeure naturel. On l'appelle « la fille artificielle ».
La société Organic, dirigée par le milliardaire Franck Varan, détient le monopole de la fabrication de ces organes. Pour autant, l'accès à ces bijoux de technologie capables d'améliorer et de sauver des vies n'est pas donné à tous, seuls les plus fortunés peuvent s'offrir des organes de qualité supérieure, tandis que les pauvres n'auront droit qu'à des organes de base, peu performants, voire défaillants. La petite Sofia, huit ans, possède l'un de ces coeurs bas de gamme, qui met sa vie en danger à tout instant, et sa famille n'a pas les moyens de lui offrir un coeur supérieur. Révulsé par cette injustice son grand frère Esteban, se résout au pire : il kidnappe la « fille artificielle » ainsi que le fils du milliardaire Franck Varan, pour tenter de faire pression sur l'entreprise et le gouvernement. Sa seule exigence : que Sofia soit immédiatement greffée d'un coeur artificiel neuf.
A travers l'action du jeune ravisseur,
Florence Hinckel orchestre la fuite en voiture de quatre adolescents sur près de 450 pages, suivis de près par une police ultraéquipée – géolocalisation, drones – et d'encore plus près par des internautes acquis à la cause qui suivent, filment, commentent en temps réel la cavale des quatre jeunes, relayée dans tout le pays par les réseaux sociaux et les chaînes d'info en continu. C'est bien dans un monde connecté très proche du nôtre que le lecteur est plongé, à ceci près que les avancées technologiques placent désormais au premier plan et font une actualité des thématiques, encore limitées en 2020, d'homme modifié, d'homme augmenté, de transhumanisme : peut-on équiper et modifier l'homme à tel point qu'il devient un surhomme, plus fort, plus performant, aux facultés et aux sens plus développés que ce dont la nature l'a pourvu ? Les populations ne pouvant bénéficier de ces augmentations physiques sont-elles alors considérées comme des sous-humains ? Un humain possédant la totalité de ses organes artificiels est-il encore un humain ? Peut-on augmenter l'homme pour prolonger la durée de sa vie ou lui conférer la vie éternelle ?
Ce sont autant de questionnements, et bien d'autres encore, soulevés par ce roman passionnant, heurtant, palpitant, documenté, et si crédible qu'il n'anticipe pas un futur lointain et inaccessible – « en 2148 »… mais imagine notre demain à partir des progrès technologiques, informatiques, médicaux, robotiques d'aujourd'hui, et des réflexions déjà menées par certaines grandes firmes monopolistiques sur le transhumanisme et l'intelligence artificielle.
L'habile alliance d'un thriller haletant au dénouement plutôt réussi et d'un roman de science-fiction glaçant permet à
Florence Hinckel d'emporter son lecteur du début à la fin et de le quitter en ayant semé dans son esprit de multiples interrogations inquiètes quand à l'avenir de nos sociétés contemporaines.