Avec le printemps, vint la pire journée de toutes. Les nationalistes étaient entrés dans Madrid. L'inévitable s'était produit. Le 1er avril 1939, Franco proclama sa victoire. Il reçut un télégramme de félicitation du pape.
Dans tout Grenade, les gens se pressèrent en petits groupes autour des postes de radio.Les doigts jaunis par la nicotine et les ongles rongés jusqu'au sang. Angoisse, tension et chaleur avait fait transpirer la ville. Des rumeurs d'exécutions en masse dans d'autres parties du pays intensifiaient la terreur. Les gens se méfiaient de ceux qui habitaient leur rue et même ceux qui vivaient sous leur toit. À travers tout le pays, des familles se déchiraient.
La danse s'acheva comme elle avait commencé, d'un cou de talon décidé, tel un point final. Les mains levées au-dessus de sa tête, les yeux au plafond, bas et bombé. La température avait augmenté dans la salle et ceux des premiers rangs humèrent le mélange entêtant de parfums musqués et de transpiration qui emplissait l'air.
Les pendentifs en diamant étaient de rigueur, ainsi que les bracelets qui s'entrechoquaient. Un style chic-décontracté typique de leur génération : féminine aguicheuse, mais pas du tout garce.
Ce qui était plus alarmant en revanche, c'était le sentiment désapprobateur dans certaines régions républicaines où avaient commencé à apparaître des affiches déclarant que la danse était un acte criminel.
Je n'ai pas de convictions religieuses. On pourrait dire que je suis athée et que je le suis depuis des années. Mais avoir la foi en sa propre essence et ressentir la nécessité de la protéger, crois-moi, cela te donne la force de survivre.
- Vous devez écoutez les rythmes que créent vos pieds, dit-il. Vous faites votre propre musique avec eux. Videz votre tête et remplissez vos oreilles.
Les deux femmes se repérèrent enfin en tournant à un angle pour se retrouver face à l’Alhambra, désormais délicatement illuminé. Malgré l’heure tardive – minuit passé – la douce lueur ambrée qui baignait l’édifice laissait presque croire que le soleil se couchait à peine. Avec ses nombreuses tourelles crénelées qui s’élevaient dans le ciel nocturne clair, la forteresse semblait tout droit sortie des contes des Mille et Une Nuits.
"Ce sui compte le plus pour moi,c'est vivre."
L'ironie tragique de ces mots la frappa avec force. Toutes ces photos de Lorca, enturbanné, dans un avion, en compagnie d'amis, de sa famille, le montraient comme un homme dévorant la vie à pleines dents. Il était difficilement concevable qu'un poète ait été suffisamment important pour mériter l'exécution. L'habitation simple blanchie à la chaux était une image d'innocence, figée dans le temps, un mémorial oublié pendant que tout autour était balayé et remplacé pour construire l'Espagne de demain. Elle était comme une tombe sans dépouille.
Les pieux s'agenouillaient sur les marches de chaque chapelle absidiale, ou s'asseyaient tête baissée dans la nef. Chacun semblait en paix et Mercedes, elle, bouillait de rage.
"A quoi Dieu nous a-t-il servi?" avait-elle envie de hurler, pour briser le silence respectueux qui régnait dans le vaste endroit. " Qu'a-t-il fait pour nous protéger ?"