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De la belle littérature. Comme j'aime…
L'auteur roumain
Anton Holban est décédé beaucoup trop jeune, à 35 ans. Comme Vincent van Gogh, mort à 37 ans, il a laissé une oeuvre importante : deux pièces de théâtre, quatre romans, une vingtaine de nouvelles et nombre de critiques et articles. Qu'aurait-il fait si la vie lui avait accordé une prolongation ?
Le livre que j'ai découvert et un recueil de neuf nouvelles. Curieuse écriture sur le ton de l'autofiction. Chacun de ces courts récits donne la sensation que l'auteur parle de sa propre existence. Les personnages, s'ils ne sont pas de sa famille comme sa grand-mère, il les a croisés : une petite japonaise dans un train, ses élèves dans une classe, un voyage de groupe en Égypte… Deux thèmes reviennent souvent : la musique, la mort qui semble l'obséder.
L'exceptionnelle qualité d'écriture d'Anton nous accompagne constamment. Chacune de ces nouvelles se lit vite, avec appétit. J'en cite quelques-unes, en laissant de côtés certaines d'entre elles avec regret car elles sont toutes délicieuses.
- « À l'ombres des jeunes filles en fleurs »
Il est évident que
Marcel Proust ne pouvait qu'inspirer un auteur dont le style fouillé et le talent peut rappeler parfois celui de notre immense écrivain.
Des élèves travaillent sur un sujet d'examen : une comparaison entre Andromaque et Hermione. Racine ! Pas facile. Entre chaque citation de vers, l'auteur nous décrit ses élèves et s'insinue par instant dans les pensées de ces jeunes filles. « Ela a le teint cuivré et les yeux comme des eaux profondes. Son corps tout juste épanoui ; une ligne sinueuse en découle et ses seins ronds lui soulèvent harmonieusement le chemisier telle une coupe qui renferme tous les instincts en attente de délivrance. » ; « Lina, plutôt laide, maigrichonne, gibbeuse, excellentes en mathématiques, de se laisser, pour un instant, séduire par le mirage d'Hermione » ; « la petite Lilly, si petite qu'on se demande si elle ne s'est pas par hasard égarée dans cette classe de seconde. ». Anton imagine l'avenir des futures jeunes femmes. J'adore la dernière phrase du récit : La petites Lilly se concentre tant qu'elle ne remarque même plus que son collant, qui a filé, le dévoile, ce grain de peau rose…
- « Petite aventure sur une interminable plateforme »
Superbe, drôle et nostalgique. Un train, des hurluberlus hurlants et ivres, une petite japonaise face au narrateur, un sourire, un espoir fugitif, puis l'arrêt du train et le départ de la jeune femme. J'ai pensé au poème de
Charles Baudelaire « À une passante », une femme qui passe et disparait : « Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! ».
- « Antonia »
Charmante nouvelle. Un jeune lycéen fait connaissance à un cours de piano d'une petite Russe d'une dizaine d'années. La candeur et les avances amoureuses de la très jeune fille le trouble et l'attire. Une
jalousie s'installe entre la petite Russe et Désirée l'amourette du jeune garçon. Une vexation l'incite à mettre un terme à cette amitié naissante. Il apprend le retour de l'enfant en Russie. Elle lui a laissé un petit mot « Ne m'oublie pas ! ». Une profonde nostalgie va s'installer et il ne cesse de penser à son « petit amour » : « Souvent, au milieu de la nuit, je fais des kilomètres à travers les rues, cherchant en vain, sur les arbres et les murs ta silhouette indécise… ».
- « le tarin et son maître »
J'ai beaucoup aimé cette nouvelle qui est la dernière du recueil.
Le narrateur achète un petit oiseau, un tarin, qu'il enferme dans une cage. Il lui passe des airs de musique de différents compositeurs et le tarin chante sans cesse en lui faisant connaître ses préférences. « Son instrument de prédilection était le violon ». Il le voit comme un être humain : « J'ai surpris chez Boris toute une gamme de sentiments qui faisaient de lui un semblable en miniature : envie, élan lyrique, dépression, goût pour l'antipathie sans motif, intérêt,
jalousie ! ». Afin que l'oiseau puisse fonder un foyer, il décide de le lâcher dans une forêt.
- « Hallucinations »
Une longue réflexion sur la mort qui taraude l'auteur. Un prof assiste à sa propre mort et observe ses élèves qui suivent son enterrement. Il se retrouve seul dans sa tombe. Il va même découvrir dans le cimetière un jeune élève mort depuis peu. Il pense à sa mère : « Ô chère petite vieillarde… Silhouette fine et gracieuse. Cheveux grisonnants et front dépourvu de toute ride. de grands yeux verts, que rien ne trouble, des yeux de vierge pure, dont les flots de larmes coulent, sans bruit… ». Cela me rappelle à nouveau
Baudelaire et ses « Petites vieilles » : « Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ? »
Nouvelle hilarante malgré la mort présente. Un grand texte littéraire.
Je dois remercier
Gabrielle Danoux (Tandarica), superbe traductrice de l'oeuvre, qui m'a permis de faire connaissance avec ce magnifique écrivain dont les courtes nouvelles m'ont séduit. Ce fut un instant de grâce culturelle, un petit bonheur éphémère.
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