Sorte de la Pléiade (même type de papier, même appareil critique généreux, même format) des oeuvres quasi complètes d'
Anton Holban, ce livre est pour moi l'occasion de vous lancer une invitation à la lecture. Aucune traduction de roman en français, à ma connaissance, à ce jour. Il existe en revanche en français un bref recueil de nouvelles,
le Collectionneur de sons, dont je vous propose ce passage de la préface : « À vif. Comme les nerfs à vif. Mort ou vif.
Anton Holban écrivait à vif, essentiellement sur la mort. À tel point que son oncle,
Eugen Lovinescu, que beaucoup considèrent comme le plus grand critique littéraire roumain de l'entre-deux-guerres, mais dont les oeuvres, malgré sa renommée, n'ont pas été traduites en français et sont aujourd'hui difficiles à trouver même en Roumanie, qu'il s'agisse de ses articles de critique ou de ses
romans, le croyait atteint de névrose.
Son époque était celle, entre autres, des
Camil Petrescu (dont les
romansMadame T. et
Dernière nuit d'amour, première nuit de guerre ont été traduits en français respectivement par
Jean-Louis Courriol et
Laure Hinckel, aux éditions
Jacqueline Chambon, 1990 et aux éditions des Syrtes, 2006), Gib I. Mihăescu,
Max Blecher, trois romanciers qui, par rapport aux générations précédentes, ont exploré plutôt une veine psychologique. Mais aucun ne s'est approché de l'autofiction autant qu'
Anton Holban, pas même le
Max Blecher de
Coeurs cicatrisés, ce à quoi il convient d'observer qu'on sait malgré tout peu de choses de la biographie de celui qui vécut un temps à Berck-sur-Mer. En France, on considère souvent Colette comme un des premiers auteurs du domaine de l'autofiction. Encore faut-il préciser que le rapport entre l'auteur et ses narratrices varie considérablement d'une oeuvre à l'autre chez l'auteur de Sido, semant fréquemment le trouble. de même, on lui trouve également des traits communs avec des personnages secondaires. Enfin, on peut ajouter qu'il se passe bien plus de choses dans Sido que dans Grand-mère se prépare à mourir, qu'on y brosse bien plus de portraits, bref que l'action y est plus riche et plus complexe.
Anton Holban écrit à peu près à la même époque. La critique anglo-saxonne, utilisant plutôt le terme “autobiographical novel”, littéralement “roman autobiographique”, remonte jusqu'au
David Copperfield de
Charles Dickens. La plupart des
romans habituellement cités (par exemple,
Villette de
Charlotte Brontë,
Nadja d'
André Breton,
Dedalus de
James Joyce) ne sont cependant pas ceux d'auteurs dont la principale source d'inspiration, au moins apparente, est à trouver explicitement dans leur propre vie, mais plutôt de romanciers ou de poètes au sens classique du terme.
Anton Holban est donc un véritable précurseur d'un genre qui a aujourd'hui conquis sa place, en particulier dans la littérature française, au point que d'aucuns y incluent certains
romans du récent prix Nobel
Patrick Modiano, sans parler d'aspects plus médiatiques, ou au contraire plus restreints aux cercles littéraires, du genre.
Dans ses
romans comme dans ses nouvelles, Holban parle essentiellement de sa propre existence : sa grand-mère, les établissements scolaires dans lesquels il a enseigné, ses collègues (au point qu'il a dû faire face à des plaintes d'enseignants qui se sont reconnus dans ses oeuvres), ses disques, ses études, etc. Il ne brosse pas de portraits, comme
Proust ou Colette, de personnages qui lui seraient extérieurs, mais inspirés par les rencontres de sa vie. Ses personnages font partie de la vie de l'auteur-narrateur-personnage principal, sans qu'il n'en sache plus sur eux que nous, bien qu'il en imagine bien plus.
L'oeuvre dépasse néanmoins largement la simple autobiographie : peut-on, en trente-cinq ans au total, vivre deux pièces de théâtre, quatre
romans, une vingtaine de nouvelles et de multiples articles et critiques ? La mémoire reste toujours vive :
Anton Holban a en particulier écrit de fraîches impressions de voyage pour un journal. Son expérience n'est qu'un point de départ, s'il est possible de qualifier ainsi le matériau essentiel de son oeuvre, et l'autofiction reste de la fiction. »