Conversations avec l'ange

Nouvelle "Le Christ-aux-Tétons"

Et je me suis mis à détester ce tableau. Deux minutes plus tôt, je le trouvais extra, et maintenant je le détestais. Et aussi le mec qui l'avait fait. Ce branleur. Je suis allé jeter un œil sur le nom de l'artiste, et il se trouve que c'était une femme. Martha Marsham. "Comment est-ce qu'on peut être une femme et faire ça" je me suis demandé. Un mec, je pouvais comprendre, un mec qui regarde trop de magazines cochons et qui n'a pas de petite amie. Mais une gonzesse ? je me suis dit que j'espérais bien que quelqu'un viendrait saboter le tableau, et que si ça arrivait, je ne lèverais pas le petit doigt pour l'empêcher, je donnerais peut-être même un coup de main. Parce que c'est choquant, merde, un Christ fait avec des tétons. On ne fait pas ça.

Nouvelle "La marche contre le vent"

Pourquoi pensait-on toujours que j'aurais dû faire autre chose que ce que je faisais ? On me suggérait généralement de donner des cours de mime, mais ça, c'est enseigner, ce n'est pas être artiste. Les gens qui regardaient la chapelle Sixtine ne disaient pas à Michel-Ange : "Très réussi, ton plafond, Michou, tu pourrais donner des cours de décoration."

Nouvelle "La marche contre le vent"

J'ai passé deux ans chez mes parents, inscrit au chômage, à me demander comment on pénétrait dans le monde fermé du théâtre d'expression corporelle. Il n'y avait rien dans le journal local. Mes parents s'inquiétaient pour moi, j'étais maussade et renfermé. "Vu le peu qu'il raconte... disait mon père, mime, c'est bien la seule chose qui lui convienne." Mon père n'est pas un intello. Je lui ai parlé de la fameuse école Jacques-Lecoq à Paris, mais il a enregistré l'information et puis il m'a expliqué pourquoi à son avis ce n'était pas l'école qu'il me fallait. "Jacques-Lecoq ? a-t-il dit. Avec un nom comme ça, il est sûrement pédé." En fin de compte, c'est ma mère qui m'a encouragé à poser ma candidature.

Il y a un moment, quand vous êtes en scène, où vous prenez tout d'un coup conscience que tout le monde vous regarde ; que toute la salle est concentrée sur ce que vous êtes en train de faire, oui, vous. Pendant cette terrifiante fraction de seconde, votre spectacle peut faire le grand plongeon, comme il peut prendre un nouvel essor. Mais ce pouvoir que vous avez de tout faire voler en poussière, c'est en partie ce qui rend si excitant de se trouver exposé aux feux de la rampe. Tous les artistes connaissent ça
(La Marche contre le vent de John O'Farrel)

Les histoires, c'est ce que j'ai de meilleur dans ma vie. Bon, pour être précis, ce qu'il y a de meilleur, c'est : les histoires de mamie, mamie elle-même, les albums de Tintin, les mots croisés de La Chronique, les caramels, les week-ends et les vacances. Aussi les jours où Mr McMinnie est absent. Mais le meilleur de tout, c'est encore mamie.
(Compte pour du beurre de Colin Firth)

Nouvelle "La marche contre le vent"

Ma ville natale, Dorking, était néanmoins le siège national de la Compagnie d’assurances Prévoyance pour Tous. Au lycée, le conseiller pédagogique semblait avoir pour tâche principale de faire venir les élèves de terminale dans son bureau pour voir avec eux dans quelle branche de Prévoyance pour Tous ils se verraient bien passer le restant de leurs jours, et puis de leur ménager un entretien avec le service de recrutement. On peut se demander à quoi servait un conseiller, puisqu’il n’y avait qu’une seule et unique option. A Manchester, au milieu du XIXe siècle, vous entriez dans les filatures de coton. A Dorking, dans les années 1970, vous trouviez un emploi à Prévoyance pour Tous.

Dans Compte pour du beurre de Colin Firth
Moi ce que je pense, c’est que tout le monde est fou. Même si les gens ont l’air parfaitement normaux, au fond, tout au fond d’eux-mêmes ils sont timbrés, et ce que tout le monde doit faire toute sa vie c’est apprendre à ne pas montrer qu’on est timbré aux autres gens qui le sont aussi.

Ils ne m'ont pas dit de quoi il s'agissait, et ils ne m'ont pas dit pourquoi ils pouvaient avoir besoin de quelqu'un comme moi. Pour vous dire la vérité, s'ils me l'avaient dit, je ne l'aurais sans doute pas pris, ce putain de job. Et si j'avais été un peu malin, je leur aurait demandé dès le premier jour, parce que, à y repenser, j'avais quelques petits indices. On était tous réunis dans cette pièce genre salle de réunion, on nous donnait des directives - faire ci, ne pas faire ça -, et je n'ai même pas remarqué que, de tout le lot, j'étais le seul mec de moins de soixante ans qu'ils aient recruté. Il y avait quelques femmes pas jeunes, et une flopée de vieux mecs en semi-retraite, genre ancien militaires.
(Le Christ-aux-tétons de Nick Hornby)