AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Anéantir (305)

Il avait toujours envisagé le monde comme un endroit où il n’aurait pas dû être, mais qu’il n’était pas pressé de quitter, simplement parce qu’il n’en connaissait pas d’autre. Il aurait peut-être dû être un arbre, à la rigueur une tortue, quelque chose en tout cas de moins agité qu’un homme, avec une existence soumise à moins de variations. Aucun philosophe ne semblait proposer de solution de cet ordre, tous au contraire paraissaient s’accorder sur le fait qu’on devait accepter la condition humaine « avec ses limitations et ses grandeurs », comme il l’avait lu une fois dans une publication d’obédience humaniste ; certains émettaient même l’idée repoussante qu’il convenait d’y découvrir une certaine forme de dignité. Comme l’aurait dit un jeune, lol. (p.395)
Commenter  J’apprécie          220
C’est au fond tout récemment que les codes de politesse en vigueur dans le milieu de Paul avaient inclus l obligation de dissimuler sa propre agonie. C était d abord la maladie en général qui était devenue obscène, le phénomène s’était répandu en Occident dès les années 1950, d’abord dans les pays anglo-saxons ; toute maladie, en un sens, était maintenant une maladie honteuse, et les maladies mortelles étaient naturellement les plus honteuses de toutes. Quant à la mort elle était l’indécence suprême, on convint vite de la dissimuler autant que possible. Les cérémonies funéraires se raccourcirent - l’’innovation technique de l’incinération permit d’accélérer sensiblement les procédures, et dès les années 1980 les choses étaient à peu près pliées. Beaucoup plus récemment on avait entrepris, dans les couches les plus éclairées et les plus progressistes de la société, d’escamoter également l’agonie. C était devenu inévitable, les mourants avaient déçu l’espoir qu’on plaçait en eux, ils avaient souvent rechigné à envisager leur trépas comme l’occasion d’une méga teuf, des épisodes déplaisants s’étaient produits. Dans ces conditions, les couches les plus éclairées et les plus progressistes de la société étaient convenues de passer l’hospitalisation sous silence, la mission des conjoints ou à défaut des parents les plus proches étant de la présenter comme une période de vacances. Dans le cas où elle se prolongerait, la fiction déjà plus hasardeuse d’une année sabbatique avait parfois été utilisée par certains, mais elle n’était guère crédible en dehors des milieux universitaires, et de toute façon elle n’était plus que rarement nécessaire, les hospitalisations prolongées étaient devenues l’exception, la décision d’euthanasie était généralement prise en quelques semaines, voire en quelques jours. La dispersion des cendres était opérée anonymement, par un membre de la famille quand il s’en trouvait, sinon par un jeune clerc de l’étude notariale. Cette mort solitaire, plus solitaire qu’elle ne l’avait jamais été depuis les débuts de l’histoire humaine, avait récemment été célébrée par les auteurs de différents ouvrages de développement personnel, les mêmes qui encensaient le dalaï-lama il y a quelques années, et qui avaient pris plus récemment le virage de l’écologie fondamentale. Ils y voyaient le retour bienvenu à une certaine forme de sagesse animale. Ce n’étaient pas seulement les oiseaux qui se cachaient pour mourir, selon le titre francisé du célèbre best-seller d’une auteure australienne, qui avait par ailleurs donné lieu à une série télévisée encore plus célèbre et plus rémunératrice ; la grande majorité des animaux, et même lorsqu’ils appartenaient à une espèce au plus haut point sociale, comme les loups ou les éléphants, éprouvaient lorsqu’ils sentaient la mort venir le besoin de s’écarter du groupe ; ainsi parlait la voix de la nature dans sa sagesse immémoriale, soulignaient les auteurs de différents ouvrages de développement personnel.
Commenter  J’apprécie          213
Le président était intelligent, ses détracteurs les plus acharnés ne songeaient nullement à disputer son intelligence, mais de plus il avait l’usage des hommes, l’intuition de leurs potentialités inexplorées comme de leurs failles.
Commenter  J’apprécie          200
il se sentait comme une boite de bière écrasée sous les pieds d'un hooligan britannique, ou comme un beefsteak abandonné dans le compartiment légumes d'un réfrigérateur bas de gamme, enfin il ne se sentait pas très bien.
Commenter  J’apprécie          190
Si Dieu existait vraiment, comme le pensait Cécile, il aurait pu donner davantage d'indications sur ses vues, Dieu était un très mauvais communicant, un tel degré d'amateurisme n'aurait pas été admis, dans un cadre professionnel.
Commenter  J’apprécie          181
La coïncidence n’était pas fortuite, une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre……
Commenter  J’apprécie          180
On ne pouvait malheureusement pas s'empêcher de constater qu'un paysage agréable, aujourd'hui, était presque nécessairement un paysage préservé de toute intervention humaine depuis au moins un siècle.
Commenter  J’apprécie          160
La phrase de Raymond Aron selon laquelle les hommes " ne savent pas l'histoire qu'ils font " lui était toujours apparue comme un 'bon mot' sans consistance, si Aron n'avait que ça à dire il aurait mieux fait de se taire. Il y avait là-dessous quelque chose de beaucoup plus sombre, la distorsion de plus en plus évidente entre les intentions des hommes politiques et les conséquences réelles de leurs actes lui apparaissait comme malsaine et même maléfique, la société en tout cas ne pouvait pas continuer à fonctionner sur ces bases, se disait Paul.
Commenter  J’apprécie          160
C'était probablement mauvais signe d'avoir envie, comme ça, de se replonger dans ses années de jeunesse, c'est probablement ce qui arrive à ceux qui commencent à comprendre qu'ils ont raté leur vie.
Commenter  J’apprécie          160
« La vraie raison de l’euthanasie, en réalité, c’est que
nous ne supportons plus les vieux, nous ne voulons même
pas savoir qu’ils existent, c’est pour ça que nous les
parquons dans des endroits spécialisés, hors de la vue des
autres humains. La quasi-totalité des gens aujourd’hui
considèrent que la valeur d’un être humain décroît au fur
et à mesure que son âge augmente ; que la vie d’un jeune
homme, et plus encore d’un enfant, a largement plus de
valeur que celle d’une très vieille personne ; je suppose
que vous serez également d’accord avec moi là-dessus ?

— Oui, tout à fait.

— Eh bien ça, c’est un retournement complet, une
mutation anthropologique radicale. Bien sûr, du fait que
le pourcentage de vieillards dans la population ne cesse
d’augmenter, c’est assez malencontreux. Mais il y a autre
chose, de beaucoup plus grave... » Il se tut à nouveau,
réfléchit encore une à deux minutes.

« Dans toutes les civilisations antérieures, dit-il
finalement, ce qui déterminait l’estime, voire l’admiration
qu’on pouvait porter à un homme, ce qui permettait de
juger de sa valeur, c’était la manière dont il s’était effecti-
vement comporté tout au long de sa vie ; même l’honora-
bilité bourgeoise n’était accordée que de confiance, à titre
provisoire ; il fallait ensuite, par toute une vie d’honnê-
teté, la mériter. En accordant plus de valeur à la vie d’un
enfant – alors que nous ne savons nullement ce qu’il va
devenir, s’il sera intelligent ou stupide, un génie, un
criminel ou un saint – nous dénions toute valeur à nos
actions réelles. Nos actes héroïques ou généreux, tout ce
que nous avons réussi à accomplir, nos réalisations, nos
œuvres, rien de tout cela n’a plus le moindre prix aux
yeux du monde – et, très vite, n’en a pas davantage à nos
propres yeux. Nous ôtons ainsi toute motivation et tout
sens à la vie ; c’est, très exactement, ce que l’on appelle le
nihilisme. Dévaluer le passé et le présent au profit du
devenir, dévaluer le réel pour lui préférer une virtualité
située dans un futur vague, ce sont des symptômes du
nihilisme européen bien plus décisifs que tous ceux que
Nietzsche a pu relever – enfin maintenant il faudrait
parler du nihilisme occidental, voire du nihilisme
moderne, je ne suis pas du tout certain que les pays
asiatiques soient épargnés à moyen terme. Il est vrai que
Nietzsche ne pouvait pas repérer le phénomène, il ne s’est
manifesté que largement après sa mort. Alors non, en
effet, je ne suis pas chrétien ; j’ai même tendance à consi-
dérer que c’est avec le christianisme que ça a commencé,
cette tendance à se résigner au monde présent, aussi
insupportable soit-il, dans l’attente d’un sauveur et d’un
avenir hypothétique ; le péché originel du christianisme,
à mes yeux, c’est l’espérance. »


pp. 452-454
Commenter  J’apprécie          161






    Lecteurs (2883) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Anéantir, la nostalgie Houellebecq

    La femme du héros Paul Raison, se prénomme Prudence parce que ses parents étaient fans des ...?...

    Beatles
    Rolling Stones

    10 questions
    52 lecteurs ont répondu
    Thème : Anéantir de Michel HouellebecqCréer un quiz sur ce livre

    {* *}