Citations sur Anéantir (305)
[...] en effet elle devait le quitter quelques semaines plus tard, c'était elle qui avait prononcé la phrase fatidique, un truc du genre : « Je crois qu'il vaudrait mieux qu'on arrête », ou peut-être plutôt : « Je crois qu'il vaudrait mieux qu'on prenne le temps de réfléchir», il ne se souvenait plus, de toute façon ça revenait au même, dès qu'on commence à réfléchir ça va toujours dans le même sens, pas seulement sur le plan sentimental d'ailleurs, la réflexion et la vie sont tout simplement incompatibles.
Sa vie aurait quand même pu être un peu plus vivante, se dit-il dans un élan d'autoapitoiement qui le dégoûta aussitôt.
Était-il responsable de ce monde ? Dans une certaine mesure oui, il appartenait à l'appareil d'État, pourtant il n'aimait pas ce monde.
D'un siècle sans espoir naît un siècle sans crainte,
Les comètes du nôtre ont dépeuplé les cieux.
(citation de Musset)
Certains lundis de la toute fin de novembre, ou au début de décembre, surtout lorsqu'on est célibataire, on a la sensation d'être dans le couloir de la mort. Les vacances d'été sont depuis longtemps oubliées, la nouvelle année est encore loin ; la proximité du néant est inhabituelle.
Il est sans doute normal que les personnes âgées s'intéressent à l'histoire, qui relativise leur trépas en retraçant les destinées des personnes importantes, illustres et parfois même toutes puissantes, qui n'en étaient pas moins redevenues poussière. p;695.
Il était inutile de songer au passé, inutile même de trop songer à l'avenir, il suffisait de vivre. P. 427
Et puis, en l'espace de quelques rendez-vous médicaux, tout avait basculé, le piège s'était refermé sur lui, et le piège n'allait pas se desserrer, bien au contraire il en sentirait de plus en plus cruellement la morsure, la tumeur allait continuer à dévorer ses chairs, jusqu'à l'anéantir.
Contre toute attente, la promenade dans Lyon s’avéra presque agréable. Les quais de la Saône étaient beaucoup plus calmes que ceux du Rhône, la circulation y était à peu près inexistante. Sur la rive opposée s’étendaient des collines boisées entrecoupées de groupes d’immeubles anciens, datant probablement du début du XX e siècle, il y avait également des pavillons, et même quelques hôtels particuliers. Tout cela était plutôt harmonieux, et surtout remarquablement apaisant. On ne pouvait malheureusement pas s’empêcher de constater qu’un paysage agréable, aujourd’hui, était presque nécessairement un paysage préservé de toute intervention humaine depuis au moins un siècle. Il y aurait eu, probablement, des conséquences politiques à en tirer – mais il était certainement préférable, vu sa situation au cœur de l’appareil d’État, qu’il s’en abstienne.
Devant la quinzaine d’agents de la BEFTI et d’autres services techniques du ministère de l’Intérieur réunis pour l’occasion, ils avaient expliqué comment, une fois entrés dans le RNIPP, ils pouvaient, d’un simple clic, désactiver ou réactiver une carte Vitale ; comment ils procédaient pour pénétrer sur le site gouvernemental des impôts, et de là pour modifier, très simplement, le montant des revenus déclarés. Ils leur avaient même montré – la procédure était plus lourde, les codes étaient changés régulièrement – comment ils parvenaient, une fois introduits dans le FNAEG, le fichier national automatisé des empreintes génétiques, à modifier ou à détruire un profil ADN, même dans le cas d’un individu déjà condamné. La seule chose qu’ils avaient estimé préférable de passer sous silence, c’était leur incursion sur le site de la centrale nucléaire de Chooz. Pendant quarante-huit heures ils avaient pris la main sur le système, et ils auraient pu déclencher une procédure d’arrêt en urgence du réacteur – privant ainsi d’électricité plusieurs départements français. Ils n’auraient par contre pas pu déclencher d’incident nucléaire majeur – il demeurait pour pénétrer au cœur du réacteur une clef de cryptage à 4096 bits, qu’ils n’avaient pas encore craquée.