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3,6

sur 3924 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Ce livre est complexe et ne laisse personne indifférent.
On peut mettre un certain temps à adhérer à Houellebecq qui au premier abord peut apparaître comme le chantre du pisse-froid dépressif et nihiliste obsédé sexuel salissant tout et n'offrant au monde qu'une vision désenchantée.
Maintenant que je le vois comme un génie ultra lucide et visionnaire, d'une intelligence hors norme, j'aborde son oeuvre complètement différemment et y lis tout autre chose.
J'ai donc trouvé en seconde lecture ce roman profond, noir, subtil, souvent puissamment, cyniquement drôle, analysant très justement les travers de la civilisation occidentale, plus proche de l'ouvrage sociologique et philosophique que d'un roman.
Ce qui est sûr, c'est que « Les particules élémentaires » est tout sauf un roman simple.
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Parce qu'une femme de 55 ans - peut-être plus, après cette lecture, on a tendance à cacher son âge - m'en avait dit le plus grand mal, je me suis attelée à la lecture de ce roman déjà ancien mais dont les thèmes sont universels et restent actuels : la dépression, la vieillesse, la maladie, la décrépitude du corps, l'échec, le suicide, la folie...
On peut comprendre la réaction de certains lecteurs et surtout de certaines lectrices devant tant de noirceur et de désillusion : s'enfuir en courant. Mais il n'y a pas que les femmes d'un certain âge qui en prennent pour leur grade, Houellebecq n'épargne pas non plus les hommes : entre un obsédé par le sexe et l'autre par la recherche scientifique au point de passer à côté de sa vie, le genre masculin est lui aussi mis à rude épreuve. Et c'est ce qui me plaît chez Houellebecq, son légendaire pessimisme n'a d'égal que sa lucidité !
En tout cas, si l'intérêt qu'on porte à un livre est proportionnel au temps passé pour le lire, je crois que ce roman m'a emballée puisque j'ai ingurgité ses 400 pages en un après-midi.
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Roman étonnant à plusieurs titres. Déjà il est très cru, comme on peut s'y attendre de la part de Houellebecq mais paradoxalement le langage est très élégant. de plus, pour ma part, le dénouement était vraiment inattendu. Je ne sais pas si je relirai cet auteur avant un moment, car la lecture est lourde, mais ce livre était très marquant pour moi.
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J'éprouve un sentiment partagé. J'ai bien aimé le regard féroce porté sur la société post soixante huitarde, l'alternance de froids passages documentaires et d'anecdotes burlesques mais je me suis aussi passablement barbée, surtout à la fin, avec cet épilogue interminable.
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C'est en lectrice innocente que j'ai entamé "Les particules élémentaires"* de M. Houellebecq. Je savais que les avis étaient partagés autour de son oeuvre et de sa personne. Si je ne me suis jamais intéressée aux polémiques qu'il suscitait, c'était pour la simple raison que je n'avais rien lu de lui. Pas un extrait, pas une quatrième de couverture, rien. C'était donc en toute neutralité et sans aucun parti pris que je me suis plongée dans son livre.

Dès les premières pages j'ai ressenti une sorte de délectation mêlée à de l'extase. le texte me portait et avançait avec une fluidité déconcertante. J'ai rarement connu un tel contentement lors d'une lecture. J'ai vite compris que j'étais en présence d'un grand écrivain, j'espérais juste que ça dure.

"Les particules élémentaires" raconte l'histoire de "Michel" et "Bruno", demi-frères ayant en commun une mère égoïste et irresponsable. Ils sont élevés par leurs grands-mères respectives pendant que leur génitrice était partie rejoindre le mouvement hippie aux USA.
L'histoire de ces deux garçons est très émouvante, on les voit traîner leur mal-être tout au long du récit. Si "Bruno" essaie maladroitement de sauver sa peau, "Michel", lui, n'y croit plus. Il consacre sa vie à ses recherches en biologie moléculaire. À défaut de sauver sa vie, il tente de sauver l'humanité.

Houellebecq truffe son texte de parallélismes avec le monde animal, ainsi que de réflexions purement scientifiques. C'était à ces moments-là qu'il me perdait avant de revenir m'englober dans son écriture électrique chargée d'émotions.
Ses personnages, tous sans exception, incarnent le désespoir existentiel. Son roman est comme une matriochka, ces poupées russes qui en cachent d'autres. Il nous pousse à ouvrir les tiroirs les uns après les autres. Il nous incite à la réflexion sur la société d'aujourd'hui où la quête de l'amour ne se fait plus dans la douceur.
L'auteur dénonce cette société qui prône le consumérisme à l'excès et où tout est bon pour créer l'illusion d'un bien-être dérisoire. Une société dans laquelle les hommes et les femmes se prêtent à tout pour vaincre le temps qui passe.

Après la chute des religions et le catastrophisme des idéaux politico-sociaux, l'homme se retrouve nu et seul face à l'échec de l'humanité. Mais est-ce une raison suffisante pour qualifier de pessimiste le livre de Houellebecq? Non. Réaliste oui, mais pas pessimiste parce qu'il nous reste l'amour. Pendant que "Michel" se trouve dans l'incapacité d'éprouver ce sentiment salvateur, "Bruno" a la chance de le vivre avant de voir sa vie se fracasser de nouveau. Mais, en dépit de cela, l'amour reste ce petit rayon de soleil capable d'atténuer l'assombrissement de nos existences.

Je sors enchantée de ma rencontre avec l'écriture puissante de Houellebecq. Je recommencerai.

*The Elementary Particles
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Balzac de notre siècle ?
Deux demi-frères, l'un chercheur en biologie (Michel) et l'autre agrégé de lettres (Bruno), poursuivent chacun leur propre quête. Michel ne vit que par son travail dans un univers casanier, Bruno essaie de « s'accomplir » sexuellement d'aventures en aventures. On passe par l'histoire des deux personnages qui se rencontrent parfois mais ont peu de choses en commun sinon de représenter à titre plus allégorique, l'histoire de l'homme occidental à la fin du XXème siècle.
Houellebecq passe par des narrations oniriques sur les années 70 et la renaissance New Age et, parallèlement aux recherches de Michel, au discours scientifique sur la biochimie, au début du clonage du génome humain, l'origine de la vie : les particules élémentaires.
Le roman est condamné à être une vision non pessimiste du monde mais plutôt d'en être l'acceptation. Les deux personnages féminins, les deux seules amours de Michel (Annabelle) et Bruno (Christiane) finissent tragiquement. Bruno quant à lui, finit à l'asile après être passé à deux doigts de la révocation pour des attouchements sur une de ses élèves.
Michel continuera ses recherches en Irlande (où l'auteur vit actuellement), terre vierge aux cieux tourmentés et changeants, image du monde même. le narrateur raconte ce livre tantôt comme un traité de sociologie, tantôt comme des souvenirs d'enfance, mais des souvenirs choisis, ceux qui influenceront le reste de la vie des deux demi-frères : Michel et les mathématiques, Bruno et ses premiers flirts. La narration se situe dans les années 2030 après une mutation de l'homme issue des recherches de Michel dans laquelle il est possible de programmer ses désirs et ses passions. C'est donc la deuxième génération humaine qui rend hommage à la première, c'est-à-dire la nôtre.
Ce livre est dédié à l'homme.
A l'époque où j'ai lu ce roman (Mai 2000), Houellebecq était un écrivain dont j'avais largement entendu parler par média interposées et qui venait de sortir un CD sous le titre Présence humaine (l'homme encore !) .J'avoue avoir eu des a priori sur ces écrivains « mode». Puis, après avoir lu une entrevue dans les Inrockuptibles, le personnage de Houellebecq m'avait paru d'emblée sympathique avec son discours sur le rock et son penchant pour Syd Barrett. J'avais donc décidé de lire ce que je pourrais de lui. Et je ne fus pas déçu. Je fus même rassuré : on peut être moderne et savoir encore faire des romans bien écrits traitant de sujets de notre époque, comme un Balzac de notre siècle. Son goût pour cet écrivain ne m'étonne d'ailleurs pas.
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Il est difficile de distinguer un livre en particulier de Michel Houellebecq pour en faire l'éloge.
Car à l'exception de « La Possibilité d'une île », qui est je pense son seul livre moyen pour ne pas dire raté, l'ensemble de ses livres sont de très, très bons livres.

Il y a d'abord son style. Cette écriture chirurgicale, précise, terriblement directe et efficace.

Ensuite, c'est un auteur qui n'a pas son équivalent pour s'emparer de sujets de société (le monde du travail, les relations homme-femme, la religion, le tourisme de masse, le New Age, l'abandon et le désarroi des campagnes, le sexe, etc…) qu'il analyse et dissèque avec un oeil quasi scientifique et sociologique.
Et que l'on partage ou pas ses conclusions, l'analyse est toujours marquante et intéressante.
Ce sont des livres qui interpellent.

« Les particules élémentaires » n'échappe pas à la règle.
Et j'ai choisi ce roman en particulier, certainement parce que c'est par ce livre que j'ai découvert il y a de nombreuses années cet auteur. Et je viens de le relire récemment.

Michel Houellebecq y raconte l'histoire et le destin de deux frères, Michel et Bruno.
Le premier est chercheur en biologie, brillant. Mais sa vie personnelle et sentimentale est catastrophique et quasi inexistante.
Et le second, professeur de lettres sans grande vocation, est un hédoniste frustré, à la recherche perpétuelle de sa satisfaction sexuelle.

C'est un récit très sombre, pessimiste et désenchanté.

Le récit de la vie sexuelle de Bruno est particulièrement cru.

On y trouve également des passages et réflexions très intéressantes sur les sciences et leur histoire.

Et enfin, il y a un passage du livre que je recommande par-dessus tout : le séjour de Bruno au « Lieu du changement », centre de vacance New Age pour baba cools en quête de renouveau et de changement, est un véritable moment d'anthologie. Je vous mets au défi de ne pas lire sa participation aux différents ateliers proposés dans ce centre sans rire absolument aux larmes !

Bref, du grand Houellebecq !!

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C'est par ce livre que j'aurais du commencer Michel Houellebecq, au lieu de Soumission. Mais même dans Soumission, qui est une politique-fiction très médiocre, j'avais noté un traitement intéressant des relations sociales modernes, ce qui m'a poussé à lire un autre roman du même auteur.

Dans Les particules élémentaires, on aborde des thèmes sociaux propre à notre époque mais aussi à la transition d'une époque vers l'autre : celle des années 70-80 jusqu'à aujourd'hui.
De nouveaux courants de pensée émergent alors, notamment celui des hippies, puis le New-Age, et grâce à Houellebecq, ils en prennent pour leur grade. C'est un sujet qui doit lui tenir à coeur, sa propre mère ayant participé aux mouvements hippy. On a droit ici à une critique en règle de leur vision irréfléchie de l'hédonisme, sans aucune considération pour les conséquences, qu'elles soient individuelles, familiales ou sociétales. Est fustigé aussi le culte du corps et de la beauté, qui va s'amplifier dans cette recherche de plaisirs superficiels et conduit inévitablement au dégout de soi et à l'isolement à mesure que le vieillissement progresse. L'auteur cherche à nous montrer la toxicité des ces idéologies, même si son personnage principal, Bruno, admet en être malgré lui un peu influencé dans sa quête du plaisir sexuel.
La mutation de la société se poursuit dans le roman et l'on assiste au triomphe du matérialisme et de l'individualisme. Les changements en eux-mêmes sont difficiles à vivre pour nos héros qui ce sentent déjà vieux. Depuis le développement de l'individualisme, il n'y aurait plus autant d'altruisme, de sentiments profonds ou de connexions envers les autres. L'amour est un passe-temps agréable et qui flatte l'égo, mais n'est plus ressenti comme une nécessité ; il passe après le travail, l'argent, les ambitions personnelles, et "l'accomplissement de soi". La cellule familiale, plus résistance, finit par éclater aussi. Et c'est toute la société qui se voit "atomisé" (le titre anglais "Atomised" convient tout à fait), réduite à son plus petit dénominateur commun : le quantum (une particule élémentaire en physique) sert d'analogie à l'individu dans le titre de ce roman – l'aspect physique quantique est très peu développé dans le texte en lui-même, le titre est trompeur.
De cet éclatement de la société va naitre solitude et frustration sexuelle. Ces deux aspects sociétaux sont exacerbés chez nos deux personnages, par leurs choix, maladresse sociales ou par des évènements imprévisibles, et vont les conduire à la désintégration mentale. Avant cela, le sexe constitue une part importante du roman, ce qui suscite beaucoup de critiques injustifiées : au vu de son importance dans nos vies réelles, je trouve au contraire étonnant son absence dans la majorité des œuvres littéraires ; j'applaudis la franchise de l'auteur qui n'hésite pas à nous rapporter quelques passages crus ou pathétiques. La frustration sexuelle et affective est un thème important de ce livre car les conséquences sociales peuvent être très concrètes et négatives mais restent peu évoquées dans notre quotidien. À ce sujet, les partouzes sur les plages naturistes du Cap d'Agde sont présentées comme un idéal de bienséance et de générosité sexuelle ; cette manière d'appréhender la vie pourrait, selon Bruno, être une solution possible au problème.
Autre thème : le désespoir et la mort. On vit de plus en plus vieux, et l'on espère vivre encore plus longtemps, ne jamais mourir même. Il en résulte que nous sommes moins préparés à faire face à notre mort ou à celle d'autrui, nous sommes plus rationnel qu'avant et moins protégés par les contes de fée religieux ; la mort est devenu encore plus douloureuse, inenvisageable, et en contempler son inéluctabilité ne peut conduire qu'à la peur de vieillir et au désespoir, d'autant que comme la vie, elle n'a rien de juste. Ce roman vous assènera coup après coup, jusqu'à ce que vous compreniez. Par cet aspect, cela peut rappeler Candide de Voltaire.

Au niveau de la prose, même si ce n'est pas là que l'auteur se distingue le plus, on trouve quelques phrases concises et citables, quasiment des aphorismes. Le reste du temps, la prose remplit son rôle basique : elle transmet l'information. La réputation du style d'écriture de Houellebecq se confirme ; l'écriture est plate, mais c'est une platitude qui colle parfaitement à ses personnages et aux thèmes de ses romans, donc quelque chose de positif.
Elle est parfois crue lorsque le narrateur nous transmet les pensées de Bruno avec des références comme "putes", "pétasses" ou "pédérastes" ; ce qui crée des décalages humoristiques qui parsème le récit ; car l'humour, souvent cynique, est bien présent et souligne avec franchise le grotesque d'une situation.

Pour finir, contrairement encore à Soumission, il n'y a aucune longueur dans Les particules élémentaires. Le côté babillage pseudo-scientifique reste léger, un simple contexte, dans la plus grosse partie de livre ; seul l'épilogue vient un peu alourdir la fin du roman avec un côté science-fiction qui aurait pu être plus succinct. Malgré cela, l'actualité de ce roman, écrit il y a déjà dix-huit ans, et le regard unique qu'il porte sur notre époque – qu'on soit d'accord avec ou pas –, en font un futur classique, voire même est-ce déjà un classique tout court.
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Du souffle, de l'humour, de l'épaisseur, une capacité à nous faire aimer ces anti-héros désabusés et pitoyables.
C'est un grand livre, le meilleur de Houellebecq selon moi, où il démontre une fois de plus sa capacité à saisir l'âme de notre époque post-moderne.
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Il y a bien longtemps — c'était pendant le premier confinement — j'avais pris la décision d'abandonner, probablement définitivement, le Voyage au bout de la nuit au moment où, de son côté, Bardamu abandonnait son cabinet médical. Ceci fait, j'ai réalisé que je risquais de devenir, probablement définitivement, l'esclave docile des séries US. Alors, tel un Cicéron1 tristounet exilé en Thessalie2, j'ai regardé la bibliothèque qui fait face au bureau de ma Thébaïde3 de l'Aisne. Mon oeil blasé, qui n'attendait pas grand-chose d'un examen par trop nonchalant, aperçut quand même, écrasé entre un gros Joyce4 et un encore plus gros Churchill5, un petit « J'AI LU » tout moche, tout corné, achevé d'imprimer le 1er août 2000 et acheté la même année pour 42,65 Francs. Les pages étaient jaunies et le livre avait été lu, c'était certain. Mais comme sa première page ne portait pas de ma main la mention de l'année de ma lecture, j'en conclus que je ne l'avais pas lu. C'était non seulement était possible mais ça se révéla exact. Un Houellebecq que je n'avais pas lu ! Et en plus, disait-on, peut-être le roman fondateur de la saga autobiographique de Houellebecq et de ses substituts ! Une vraie chance. Et je commençai sa lecture le soir même, juste avant de revoir le troisième épisode de la deuxième saison de The Big Bang Theory6, vous savez celui où Léonard veut prouver à Sheldon que... Ah ? Vous n'avez pas Netflix ?

« Ce livre est avant tout l'histoire d'un homme, qui vécut la plus grande partie de sa vie en Europe occidentale, durant la seconde moitié du XXe siècle. Généralement seul, il fut cependant, de loin en loin, en relation avec d'autres hommes. Il vécut en des temps malheureux et troublés. le pays qui lui avait donné naissance basculait lentement, mais inéluctablement, dans la zone économique des pays moyens-pauvres. »

C'est ainsi que commencent « Les particules élémentaires » ou plus exactement, son prologue. Ça commence bien, non ? On est tout de suite dans l'ambiance, celle qu'on appellera plus tard l'ambiance houellebecquienne, lucide à en désespérer, désespérée à en rire, drôle à en mourir. Voici un passage des Particules où Houellebecq raconte en quelques lignes ce qu'aurait pu être, mais ne fut pas, la vie du grand-père des deux personnages principaux du livre, Bruno et Michel :

« Né en 1882 dans un village de l'intérieur de la Corse, au sein d'une famille de paysans analphabètes, Martin Ceccaldi semblait bien parti pour mener la vie agricole et pastorale, à rayon d'action limité, qui était celle de ses ancêtres depuis une succession indéfinie de générations. Il s'agit d'une vie depuis longtemps disparue de nos contrées, dont l'analyse exhaustive n'offre donc qu'un intérêt limité ; certains écologistes radicaux en manifestant par périodes une nostalgie incompréhensible, j'offrirai cependant, pour être complet, une brève description synthétique d'une telle vie : on a la nature et le bon air, on cultive quelques parcelles (dont le nombre est précisément fixé par un système d'héritage strict), de temps en temps on tire un sanglier ; on baise à droite à gauche, en particulier sa femme, qui donne naissance à des enfants ; on élève lesdits enfants pour qu'ils prennent leur place dans le même écosystème, on attrape une maladie et c'est marre. »

Ce passage est pour moi très caractéristique du style de Houellebecq, de la façon qu'il a de vous raconter une histoire. On y reviendra. Je l'ai choisi aussi, pour ne pas choquer ce qui peut rester encore de pruderie chez les lecteurs du Journal des Coutheillas, parce qu'il comporte très peu de mots grossiers (baise, marre) et qu'il ne fait allusion qu'une seule fois à l'acte sexuel (baise) sans donner plus de précision technique sur la façon dont cet acte est pratiqué. Nous sommes donc là en plein confort moral dans une zone qu'un puritain un tant soit peu humanisé pourrait fréquenter.
Dans ce passage, M.H. nous fait observer de haut la vie du Corse ordinaire à cheval sur les XIX et XXe siècles comme s'il s'agissait des moeurs du Pigeon de Kittliz7. Sur le plan ornithologique, la description est succincte, à la limite de la nonchalance. Sur le plan anthropologique, elle est tout aussi succincte, mais ce qui la caractérise, ce n'est pas la nonchalance. La réduction de la vie du Corse moyen à quelques simples faits présentés de façon dérisoire est à effet Kiss Cool: d'abord nous faire sourire, nous qui, avec l'auteur, regardons tout ça de haut et, dans un deuxième temps nous faire réaliser l'absence de sens de notre propre vie, pas si différente que ça de celle du cousin Ceccaldi.
Ce passage est également exemplaire l'autre technique houellebecquienne : une description froide et quasi scientifique d'un homme, d'un groupe ou d'une période (on élève lesdits enfants pour qu'ils prennent leur place dans le même écosystème) qui s'achève par une pirouette en raccourci, grossière ou populaire, (et c'est marre), et qui, par son ironie, vient réduire à rien l'effet didactique de la leçon.

Ces deux éléments, l'observation présentée comme objective, d'une part, et la pirouette finale d'autre part, ne sont que des techniques. Elles permettent de faire passer agréablement auprès du lecteur (on apprend beaucoup de choses et on rit beaucoup en lisant M.H.) une vision extrêmement lucide et pas mal désespérante de notre monde, de notre société, de son évolution, de ses modes, des groupes d'individus qui la compose, de leurs habitudes, de leurs motivations et de leurs désirs. Seuls l'ironie qui l'habite et l'humour qui l'habille permettent de supporter un tel pessimisme.

Ceux qui ont lu ce livre me feront remarquer qu'il ne se résume pas à une simple vision pessimiste de l'humanité présentée avec une élégance de style remarquable et un humour féroce. C'est une construction étrange que celle des « Particules » qui nous fait suivre en alternance les deux vies si différentes de deux demi-frères. M.H. choisit de décrire la désespérante et inutile vie de Bruno à travers ses obsessions sexuelles avec une précision à la fois crue et clinique. Celle de Michel, tout aussi triste et vide sentimentalement que celle de Bruno, nous est racontée comme un historien des sciences nous raconterait la vie d'un homme comme Albert Eisntein, génie fondateur d'une révolution dans la manière de comprendre l'Univers, et en ce qui concerne Michel, à l'origine d'une transformation pour le moins radicale de tout l'Humanité.
A part le merveilleux style d'écriture, annonciateur des romans qui vont suivre, les « Particules ont un autre point commun avec eux : l'Homme, ou la Société, ou l'Humanité tels qu'ils sont aujourd'hui sont fichus.
C'était vraiment un truc à lire en ce moment.

Notes

1- Cicéron : Romain assez antique. Belle carrière d'avocat. Écrivain de talent mais dont l'essentiel de l'oeuvre consiste en phrases ou éléments de phrases repris intégralement dans le dictionnaire Latin-Français dénommé le Gaffiot et particulièrement appréciés des écoliers qui n'avait pas eu la chance de pouvoir choisir « Moderne ». Fut exilé en Thessalie pour avoir exécuté ceux qu'il venait de faire condamner. Mais ça ne dura pas.

2- Thessalie : région De Grèce que je situe vaguement à mi-chemin entre Athènes et les contreforts du Mont Olympe.

3- Thébaïde : Désert de Haute-Egypte ; on est censé n'y rien faire du tout.

4- Joyce : Écrivain irlandais

5- Churchill : Écrivain anglais

6- The Big Bang Theory : voir Critique aisée n°

7- Pigeon de Kittliz (Columba versicolor) ; espèce disparue à l'époque de Martin Ceccaldi


Lien : https://www.leblogdescouthei..
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