C'est mon dernier sommeil de cette espèce.
Et puis, ce que j’écrirai ainsi ne sera peut-être pas inutile. […]
N’y aurait-il pas dans ce procès-verbal de la pensée agonisante, dans cette progression toujours croissante de douleurs, dans cette espèce d’autopsie intellectuelle d’un condamné, plus d’une leçon pour ceux qui condamnent ? Peut-être cette lecture leur rendra-t-elle la main moins légère, quand il s’agira quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d’homme, dans ce qu’ils appellent la balance de la justice ?
Chapitre VI
- Qui veut des places?
Une rage m'a pris contre ce peuple. J'ai eu envie de le crier :
- Qui veut la mienne?
Hélas,qu'est-ce que la mort fait avec notre âme ?
On louait des tables, des chaises, des échafaudages, des charrettes. Tout pliait de spectateurs ; des marchands de sang humain criaient à tue-tête :
- Qui veut des places ?
Une rage m’a pris contre ce peuple. J’ai eu envie de leur crier :
- Qui veut la mienne ?
Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs? Qui le leur a dit? Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu'elle ait crié au peuple: Cela ne fait pas de mal!
Misérable ! Quel crime j'ai commis, et quel crime je fais commettre à la société !
Les hommes sont tous condamnés à mort avec des sursis indéfinis.
Je commençais à ne plus voir, à ne plus entendre. Toutes ces voix, toutes ces têtes aux fenêtres, aux portes, aux grilles des boutiques, aux branches des lanternes : ces spectateurs avides et cruels ; cette foule où tous me connaissaient et où je connaissais personne ; cette route pavée et murée de visages humains… J’étais ivre, stupide, insensé. C’est une chose insupportable que le poids de tant de regards appuyés sur vous.
Ce ne sont là, sans doute, que des "raisons sentimentales", comme disent quelques dédaigneux qui ne prennent leur logique que dans leur tête. À nos yeux, ce sont les meilleures. Nous préférons souvent les raisons du sentiment aux raisons de la raison.