Citations sur Un chien à ma table (207)
…je chéris l’instabilité, l’imperfection, le passage, tous les âges, les loques, les lopins, les bonds, les sauts, les bizarreries. Les grimaces. La poésie.
C’est quoi, la poésie ? Un pas de côté.
J'ai alors pensé à la bauge, en bas de la prairie, là où c'est mouillé, toujours un peu mouillé, là ou je me rendais rien que pour respirer le parfum noir de sa boue de velours. De moire. C'est à respirer son parfum que les mots me viendront, voilà ce que je me suis dit. Il y a devant moi, quelque chose à atteindre encore, je le sais à mon coeur, encore lui, au réveil, il bat plus vite et je le sais au plaisir âpre que je devine et qui m'attire là-bas, plus loin, au bout, tout près. Oui, ça et rien d'autre. Une nouvelle équipée. Avec mon corps. Avec ce qui reste de mon corps. Avec ce qui reste de la forêt. Mon corps et la forêt. Nos corps usés, troués. Entre leurs accrocs, leurs ellipses, il reste de petits cosmos.
On traversait les forêts poilues, pas possible comme elles étaient poilues, couvertes de fougères brisées par les pluies, de bruyères rugueuses, d’innombrables sortes de mousses, parfois quatre variétés sur un seul rocher, avec des formes de grands canapés, de fauteuils, d’oreillers, avec des matières de barbes et de torses virils, et aussi de pubis et d’aisselles féminins.
Pubis et forêts, arrêtons de tout raser.
Quelque chose d’embusqué dont la seule fonction est de se reproduire, comme tout dans la nature dont je fais partie, puisque je suis une femme. Née comme ça.
Me maquiller m'a longtemps intéressée comme une fantaisie. Souvent comme une loufoquerie. Une magie, ça m'est arrivé. Une délinquance, parfois. Mais en vérité, le maquillage, c'est une insurrection.
Il y a des auteurs qui passent une année à se constituer un mur de documentation avant d'écrire une seule ligne.
Il y a un chien, ai-je crié à Grieg qui se trouvait dans son studio situé à côté du mien , à l'étage. Chacun son lit,sa bibliothèque, ses rêves ; chacun son écosystème. Le mien, fenêtres ouvertes sur la prairie. Le sien, rideaux tirés jour et nuit sur cette sorte de réserve, de resserre, de repaire, de boîte crânienne, mais on aurait pu dire aussi de silo à livres qu'était sa chambre.
C’est quoi, la poésie ? Un pas de côté.
Mais cette fois, aux Bois-Bannis, il n'y avait pas de jardin. Le grand changement c'était ça : plus de jardin. Mes mains n'auraient pas suivi. Déjà déformées au point de me faire peur à moi-même. Je les cachais dans mes pulls que je choisissais exprès à longues manches pour les jours où j'avais à me rendre dans une librairie présenter mes romans, dont le dernier, "Les animaux", parlait de grand air et de nature - ce qui en France, au contraire des pays anglo-saxons, était une littérature marginale.
Face au monde animal, je me sens du même bord.Et très rassurée de l'être. C'est à un tel point qu'il m'arrive, vis à vis d'un humain, de me réfugier dans le regard du chien qui l'accompagne. Dans certaines situations, je me taillerais vite fait avec le chien. Sortir d'un bond de moi rejoindre le chien.