Qui te demande si tu veux? Ne suis-je pas ton mari?
RANK : Il va se produire ce que j'ai prévu depuis longtemps. Mais je ne pensais pas que cela viendrait si vite.
NORA : Quelle nouvelle avez-vous appris ? Docteur Rank, il faut que vous me le disiez !
RANK : Ma santé se dégrade. On ne peut rien y faire.
NORA : C'est de vous qu'il s'agit... ?
RANK : De qui d'autre pourrait-il s'agir ? Cela ne sert à rien de se mentir à soi-même. De tous mes malades, c'est moi qui suis dans l'état le plus pitoyable, Madame Helmer. Ces derniers jours, j'ai fait un bilan complet du fonctionnement de mon organisme. C'est la banqueroute. Avant un mois, je serai peut-être déjà en train de pourrir au cimetière.
HELMER : Notre petit étourneau est gentil ; mais il lui faut beaucoup d'argent. C'est incroyable ce que cela coûte à un homme d'avoir un étourneau chez lui !
NORA : Ça, alors ! Comment peux-tu dire des choses pareilles ? Pourtant, je mets vraiment de côté tout ce que je peux.
HELMER : En effet, c'est bien vrai. Tout ce que tu peux ! C'est-à-dire rien du tout.
Pas de dettes ! Jamais d'emprunts ! On perd de sa liberté, et c'est aussi une chose laide, que de fonder son foyer sur des emprunts et des dettes. Nous avons tous les deux fait preuve de persévérance et de courage jusqu'aujourd'hui ; et nous allons continuer pendant le peu de temps où ce sera nécessaire.
MADAME LINDE : J'ai appris à agir raisonnablement. La vie et la nécessité cruelle et amère me l'ont appris.
KROGSTAD : Et moi, la vie m'a appris à ne pas me fier aux paroles.
NORA : Mon très cher docteur Rank, il ne faut pas que vous mouriez, il ne faut pas que vous nous quittiez, Torvald et moi.
RANK : Vous auriez certainement vite fait de vous consoler. Celui qui part est vite oublié.
MADAME LINDE : Ces trois dernières années ont été pour moi comme une longue journée de travail ininterrompu. Mais maintenant, c'est fini, Nora. Ma pauvre mère n'a plus besoin de moi, puisqu'elle n'est plus de ce monde. Et les garçons non plus, puisqu'ils ont chacun leur situation et qu'ils peuvent subvenir à leurs besoins.
NORA : Comme tu dois te sentir légère...
MADAME LINDE : Détrompe-toi ; je sens simplement un grand vide. Je n'ai plus personne pour qui vivre.
HELMER : Qui est-ce ?
RANK : C'est moi. Puis-je me permettre d'entrer un instant ?
HELMER : (à voix basse, l'air contrarié) Mais qu'est-ce qu'il veut à cette heure-ci ? (à haute voix) Attends un peu. (Il va ouvrir la porte.) Ah, c'est gentil de ta part de ne pas passer devant notre porte sans t'arrêter.
NORA : Désormais, nous pouvons vivre tout à fait différemment... nous pouvons faire tout ce que nous voulons. Oh ! Christine, comme je me sens légère et heureuse ! C'est tout de même bien d'avoir vraiment beaucoup d'argent et de ne plus avoir à se faire de soucis. Tu ne trouves pas ?
MADAME LINDE : Si. En tout cas, chacun aimerait bien avoir le nécessaire.
Etre avocat, c'est si précaire, surtout quand on ne veut pas se charger de causes douteuses.