Un oiseau bleu sur l'épaule : Souvenances autobiodégradables

Je ne sais pas si tu as déjà regardé de près un flipper, non pas ces trucs bidons à microprocesseurs que tu trouves aujourd'hui, mais de ces bons vieux des années cinquante, que tu travaillais au doigt et aux hanches. Les mouvements dingues, saccadés, désorientés de la boule qui s'en va rouler en tous sens et qui ne garde sa trajectoire que pour aller finir hors jeux. Et bien dans ma tête y'avait toujours des parties gratuites - game over - et tu rejoues.
Et tu vas dans un sens, et tu vas dans l'autre; bing ! une claque dans la gueule et tu repars d'où tu viens; et ces putains de couloirs qui te renvoient d'un mur à l'autre, et tu comptes les points, même qu'il y en a tellement qu'à la fin t'essayes même plus. T'en a marre, tu cherches l'interrupteur, t'essayes d'arracher le fil, de couper le courant. Et comme tu n'y crois pas tu cognes dans la machine. Et merde, ça va tilter ou non, qu'on en finisse bordel !

Je m'étais foutu dans la tête d'acheter la toute grosse bécane genre Triumph Bonneville ou Norton Commando. Pas une japonaise surtout. Ces bécanes pour néo-amateurs de deux roues sont au motard, au puriste je veux dire ce que les putes sont à l'amour.
Non, mon blot c'est l'Anglaise bien graisseuse, bien bruyante, qui te fout un coup dans les reins à l'accélération quasi-divin et te pète une guibole si t'es pas assez mariole pour savoir la faire ronfler du premier coup à la bonne compression. Elles sont sauvages et sensuelles. Tu les pilotes comme tu fais l'amour, avec les reins, collé contre elles, soudés l'un à l'autre.
Pas comme ces froides machines à démarreur électrique, pour être plus perfectionnées, bien trop sophistiquées pour te faire bander. A moins que tu aimes les frimeuses ! Tous les goûts...n'est-ce pas ?

Une Chevrolet V8 de 350 CV.
Le monstre. Avec ça tu dévales tranquille-peinard les autoroutes à 200km/h, sans forcer le moulin, en douceur et en silence total. Douce volupté.
En fait le vrai cuirassé. Avec e moulin / rempart que j'avais à l'avant je me demande encore, en cas de choc avec une quelconque saloperie de tire normale, made in France, combien de pièces aurait comporté le puzzle de l'adversaire.
L'extase c'était la nuit. T'avais l'impression d'être sur un nuage propulsé à pleine vitesse par un méchant mistral. Et plus le vent soufflait, plus j'attendais la tempête, le grand orage fracassant, bruyant, destructeur. Conduite en état second, quasi hypnotique. Et quand le bête poussée dans ses derniers retranchements n'en pouvait plus de cracher sa puissance, je ne comprenais pas pourquoi je n'avais pas ce petit mouvement de volant suffisant pour infléchir le cours des choses et en finir une fois pour toutes avec ce chaos intérieur qui s'épanouissait de jour en jour.
Réflexe de survie ! Refus inconscient de la mort ? Moi qui la haïssait tant cette mort, voilà que je la courtisais, lui lançant des clins d'oeil tapineurs !

Les deux roues c'est balèze, mais tu n'y coupes pas de tes chutes périodiques ou de tes rencontres plus ou moins évidentes avec les mectons en bagnoles qui n'ont pas très bien pigé le coup de l'angle mort dans le rétroviseur.

...tu sais bien que tu n'as plus tes réflexes de vingt ans, et que tu peux aussi aller au tapis. Mais tu restes fasciné par cette idée. Est-ce le plaisir de la bécane que tu recherches ou la recherche inconsciente du crash libérateur ?