Ne songe plus à cet œil de lumière...
Ne songe plus à cet œil de lumière,
aux neiges bleues par-delà les forets,
derrière l'ombre où bougent des crinières,
mais vois plutôt cette main désarmée
près de ta main, cette bouche légère,
et la couleur des regards étrangers,
et la couleur des robes et des rues,
d'un soleil d'homme où déjà tu te perds,
déjà renais de te savoir perdu.
Ainsi se rompt la glaise qui t'enserre.
Défait de toi, perdu, tu vois germer
contre tes mains comme un œil de lumière,
La tête de métal détachée de son corps de glaise,
de cette pesanteur de glaise,
de sa matrice barbelée sous le soleil des miradors,
gravite désormais dans l'espace liquide.
Elle dit le visage inconnu des astres,
les pluies de fer, la respiration des planètes.
Mais que dit-elle de notre amour,
du tremblement des mains qui se rejoignent,
de l'ombre entre nos corps, de l'aube sur ta bouche
lorsque parfois la nuit des âmes se dénoue ?
Mais que dit-elle de notre mort ?
Chaque nuit, sur la maison de verre,
vole cette balbutiante poussière d 'homme
entre notre sommeil et le fracas des étoiles.
Ainsi je fus …
Ainsi je fus, dans cette nuit d'exil,
prison et prisonnier et lueur à la fissure,
indéchiffrable signe en moi-même gravé,
exilé dans mon corps, dans ce fuseau de pierre,
oisif et prisonnier de lianes et de nerfs,
aveugle, traversant une secrète nuit
de bêtes enlacées, d'insectes et de dards,
où s'effrite la pierre, où s'usent le regard
et la bouche et le coeur à des limes funèbres,
m'alourdissant de tous mes songes, terrassé
par des meutes sorties de l'eau, dont les abois
cernaient, traquaient les gestes et les voix.
Je poursuivais un souvenir de branche
et de neige, un souvenir d'oiseau volant bas
dans le silence pourpre d un ciel pulmonaire,
sur un rivage où neige, branche, oiseau
n'étaient que l'ombre exsangue et plus lointaine
d'une beauté violente en fuite sur les eaux.
Poèmes de Jean Joubert, extraits de "Longtemps j'ai courtisé la nuit", et de Jean-Marie Berthier, extraits de "Ne te retourne plus".