Visages, miroirs
Lorsque je suis entré dans la chambre
celle qui dormait ne s'est pas éveillée.
Lorsque je me suis assis dans la chambre
celle qui veillait ne m'a pas regardé.
Lorsque je suis sorti de la chambre
celle qui pleurait ne s'est pas retournée.
Ô visage, nuage !
La lune s'est noyée dans le miroir.
Maison de miroirs
COURS, POÈTE !
Cours, poète, cours
dans la forêt du verbe,
respire, inspire,
avale au vol une virgule,
souffle une métaphore.
Cours, poète, cours,
cours plus vite encore,
car la nuit tombe
et tu entends, derrière toi,
courir toujours plus vite,
toujours plus près,
courir, souffler et geindre
une grande ombre sans visage.
JARDINIER
Jardinier, arme-toi de ta sueur,
salue le ciel,
remue la terre la plus noire.
À la saison de sève et d'espérance
sème les mots dans les sillons
et prie pour que la lune les protège.
Patiente, quand tour à tour
la pluie et le soleil
viendront secrètement louer
les noces sombres de la terre.
Et tu verras enfin jaillir de longues phrases
riches de fruits souverains
et d'oiseaux de lumière.
Retournement de la parole
J'aime qu'un arbre
dans le sable prenne racines
et qu'il ose tenter contre la nuit
un langage de feuilles,
un vaste geste d'oiseaux.
Noces de sable - Chemins de terre
Retourne-toi avec prudence.Regarde.
L'enfant là-bas
Assis sur une chaise, près de la pompe,
Dans le léger brouillard d'avril:
L'enfant qui tient dans ses bras
Un chat noir
Et te regarde,
C'était toi,
C'est encore toi
Mais au fond de quel gouffre?
Poèmes de Jean Joubert, extraits de "Longtemps j'ai courtisé la nuit", et de Jean-Marie Berthier, extraits de "Ne te retourne plus".