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Citations sur La guerre comme expérience intérieure (44)

La guerre est la plus forte rencontre des peuples. Alors que commerce et circulation, compétitions et congrès ne font se joindre que les pointes avancées, la guerre engage l'équipe au complet, avec un objectif seul et unique : l'ennemi. Quels que soient les problèmes et les idées qui agitent le monde, toujours leur sort se décida par la confrontation dans le sang. Certes toute liberté, toute grandeur et toute culture sont issues du silence de l'idée, mais seules les guerres ont pu les maintenir, les propager ou les perdre. La guerre seule a fait des grandes religions l'apanage de la terre entière, a fait surgir au jour, depuis leurs racines obscures, les races les plus capables, a fait d'innombrables esclaves des hommes libres. La guerre n'est pas instituée par l'homme, pas plus que l'instinct sexuel ; elle est loi de nature, c'est pourquoi nous ne pourrons jamais nous soustraire à son empire. Nous ne saurions la nier, sous peine d'être engloutis par elle.

Notre époque montre une forte tendance au pacifisme. Ce courant émane de deux sources, l'idéalisme et la peur du sang. L'un refuse la guerre par amour des hommes, et l'autre parce qu'il a peur.

Le premier est de la trempe des martyrs. C'est un soldat de l'idée ; il est courageux : on ne peut lui refuser l'estime. Pour lui, l'humanité vaut plus que la nation. Il croit que les peuples, dans leur furie, ne font que frapper l'ennemi de plaies sanglantes. Et que lorsque les armes ferraillent, on cesse d'oeuvrer à la tour que nous voulons pousser jusqu'au ciel. Alors il s'arc-boute entre les vagues sanglantes et se fait fracasser par elles.

Pour l'autre, sa personne est le bien le plus sacré ; par conséquent il fuit le combat, ou le redoute. C'est le pacifiste qui fréquente les matchs de boxe. il s'entend revêtir sa faiblesse de mille manteaux chatoyants - celui du martyr de préférence -, et bon nombre d'entre eux ne sont que trop séduisants. Si l'esprit d'un peuple entier pousse dans ce sens, c'est le tocsin de la ruine prochaine. Une civilisation peut être aussi supérieure qu'elle veut - si le nerf viril se détend, ce n'est plus qu'un colosse aux pieds d'argile. Plus imposant l'édifice, plus effroyable sera le chute.
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Qu'avaient donc fait les Péruviens aux Espagnols ? A bon entendeur, les couronnes des forêts vierges qui se balancent aujourd'hui sur les ruines de leurs temples solaires chanteront la réponse. C'est le chant de la vie qui se dévore elle-même. Vivre égale tuer.
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Comme d'autres dans l'art ou dans la vérité, ils cherchaient leur accomplissement dans la lutte. Nos voies sont diverses, chacun porte en son coeur une autre boussole. Pour chacun, vivre veut dire autre chose, pour l'un le chant du coq au matin clair, pour l'autre l'étendue qui dort au midi, pour un troisième les lueurs qui passent dans les brumes du soir.

Pour le lansquenet, c'était le nuage orageux qui couvre au loin la nuit, la tension qui règne au-dessus des abîmes.
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Que servait de répandre sur les plus proches du sable et de la chaux, de jeter sur eux une toile de tente pour échapper au spectacle constant des visages noirs et enflés. Il y en avait trop ; partout la bêche heurtait de la chair ensevelie. Tous les mystères du tombeau s’étalaient dans une hideur à faire pâlir les rêves les plus fous. Les cheveux tombaient des crânes par touffes, comme le feuillage pâli des arbres à l’automne. Plus d’un se défaisait en verdâtre gelée de poisson qui luisait dans les nuits sous les lambeaux des uniformes. Quand on marchait sur eux, le pied laissait des traces phosphorescentes. D’autres se desséchaient en momies calcifiées qui se desquamaient lambeau par lambeau. Chez d’autres encore, les chairs coulaient des os en gélatine brun rougeâtre. Dans les nuits lourdes, des cadavres boursouflés s’éveillaient à une vie de fantôme lorsque les gaz comprimés s’échappaient des blessures à grands sifflets et gargouillis. Mais le plus terrifiant était le grouillement frénétique où se dissolvaient les corps qui ne se composaient plus que de vers innombrables.
À quoi bon ménager vos nerfs ? Ne sommes-nous pas restés une fois, quatre jours de suite, dans un chemin creux entre des cadavres ? N’étions-nous pas tous, morts et vivants, recouverts d’un épais tapis de grandes mouches bleu sombre ? Peut-on encore aller plus loin ? Oui : plus d’un gisait là avec qui nous avions partagé mainte veille nocturne, mainte bouteille de vin, maint quignon de pain. Qui peut parler de la guerre, qui n’a point été dans nos rangs ?
Lorsque après de telles journées le soldat du front traversait les villes de l’arrière, en colonnes grises et muettes, voûté, dépenaillé, sa vue parvenait à figer sur place l’insouciant train-train des écervelés de ces lieux. “On les a sortis des cercueils”, chuchotaient-ils à l’oreille de leur bonne amie, et tous ceux qu’effleuraient le vide des yeux morts se mettaient à trembler. Ces hommes étaient saturés d’horreur, ils eussent été perdus sans l’ivresse. Qui peut mesurer cela ? Un poète seul, un poète maudit dans le voluptueux enfer de ses rêves.
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Oui, le soldat, dans son rapport à la mort, dans le sacrifice de sa propre personne pour une idée, ignore à peu près tout des philosophes et de leurs valeurs. Mais en lui, en ses actes, la vie trouve une expression plus poignante et plus profonde qu’elle ne peut l’avoir dans aucun livre. Et toujours, de tout le non-sens d’un processus extérieur parfaitement insensé, ressort une vérité rayonnante : la mort pour une conviction est l’achèvement suprême. Elle est proclamation, acte, accomplissement, foi, amour, espérance et but ; elle est, en ce monde imparfait, quelque chose de parfait, la perfection sans ambages. La cause n’y fait rien, tout est dans la conviction. On peut bien mourir enfoncé dans une erreur indubitable : c’est ce que l’on pouvait faire de plus grand. L’aviateur de Barbusse peut bien voir, loin au-dessous de lui, deux armées harnachées prier un Dieu unique pour la victoire de leur juste cause, l’une ou l’autre, à coup sûr, et probablement les deux, arborent une erreur sur leurs drapeaux ; et pourtant Dieu les accueillera toutes deux d’une même étreinte en son être. La folie et le monde ne font qu’un, et qui mourut pour une erreur n’en reste pas moins un héros.

(p. 160)
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Que l’on tue des hommes, cela n’est rien, il faut bien qu’ils meurent un jour, mais on n’a pas le droit de les nier. Non, on n’en a pas le droit. Le plus terrible, pour nous, ce n’est pas qu’ils veuillent nous tuer, c’est qu’ils ne cessent pas de déverser sur nous des flots de haine, qu’ils ne sachent nous nommer autrement que boches, Huns, barbares. Cela rend amer. C’est pourtant vrai, tout peuple a son sale type, et c’est justement celui-là que les voisins aiment à prendre pour norme. Nous ne sommes pas meilleurs que les autres, tout Anglais nous est un Shylock, tout Français un marquis de Sade. On en rira peut-être dans cent ans, à moins qu’on ne soit encore en guerre, pour changer. À toute contemplation, il faut du recul. Du recul dans l’espace, dans le temps, dans l’esprit.

(p. 107)
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Le combat des machines est si colossal que l’homme est bien près de s’effacer devant lui.
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Le prince a le devoir de mourir dans le cercle de ses derniers fidèles.
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Le péril fait resurgir des émotions déroutantes comme les rêves.
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Une autre fois, alors que je tuais le temps interminable d’une veille nocturne en compagnie d’un vieux briscard, dans l’angle sombre d’un épaulement, je m’enquis, au cours d’une conversation chuchotée, de son expérience la plus horrible. Sa cigarette rougeoyait à brefs intervalles sous le casque d’acier, inondant le visage décharné d’un rouge éclat. Il raconta :
“Au début de la guerre, nous avons pris d’assaut une maison qui avait été une auberge. Nous avons envahi la cave barricadée, luttant dans le noir comme des bêtes qui se prennent à la gorge, alors que déjà la maison brûlait au-dessus. Soudain, déclenché sans doute par la chaleur de l’incendie, on entendit là-haut le piano mécanique qui démarrait comme un automate. Jamais je n’oublierai, mêlés aux rugissements des hommes aux prises et aux râles des mourants, les flonflons insouciants de cette musique de danse.”
Il y aurait encore beaucoup à raconter : ces hommes qui n’arrêtaient pas de pousser des rires stridents, alors qu’un projectile venait de leur fracasser le crâne ; cet autre qui, en pleine bataille d’hiver, se dépouilla de son uniforme et courut ricanant par les champs de neige rougie ; l’humour satanique des grands postes de secours, et bien d’autres choses. Mais nous autres, fils de ce temps, nous avons bien soupé des faits bruts. Tellement soupé.
Et ce ne sont pas tant les faits que précisément l’incertain, l’indescriptible, les sourds pressentiments dont le feu jaillit parfois au grand jour comme la fumée d’un incendie qui couvait au creux d’un navire. Peut-être tout cela n’est-il qu’élucubration. Et pourtant c’était tellement palpable, pesant sur les sens d’un tel plomb, lorsqu’une troupe abandonnée sous la voûte de la nuit patrouillait en terre inconnue, dans le fracas des masses de métal qui s’écrasaient lointaines et proches. Si tout à coup, en plein milieu, un jet de feu s’arrachait à la terre, on entendait jaillir dans l’infini le cri bouleversant d’une prise de conscience intégrale. Peut-être, dans les derniers feux de ces cerveaux, le noir rideau de l’horreur s’était-il envolé à fins bruissements : mais ce qui restait tapi derrière, la bouche pétrifiée ne pouvait plus en donner le message.
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