LA TAPISSERIE DES OUATRE ÉLÉMENTS
I L'EAU
…Et les Néréïdes reprennent ce rouet
à l'accent si félin, si doux, que l'on entend
quand la voix colère de l'autan
n'effarouche pas l'éphémère,
ce rouet si ronronnant, ce fil d'herbe si parfumé,
que les pilotes croient respirer
quand cette aube s'élève des vagues de la mer
l'odeur lointaine des îles enchantées,
que les vivats de découverte
s'élancent, avec le rêve des lingots rapportés
vers les pontons rongés de mousses vertes.
Et qu'importe ! ceux-là passent.
Les belles nymphes sont immortelles,
comme le thyrse et le caducée,
comme la vague, comme la dentelle
de l'herbe, et l'ouate des nuées,
comme la roche aux repos noirs sous l'ondée
arc-en-ciélée par le même soleil,
comme le vin pourpre ou le vin vermeil
ou les chaînes de Prométhée.
Ils se penchent, c'est de l'ombre ; ils crient, c'est de l'écho ;
Ils meurent, c’est du silence ; ils chantent, c’est une phrase
à la beauté sereine du soleil et des flots.
Encore un regard à la fraîche toilette,
car voici les Tritons, ivresse, beauté, force
apportant les plus odorantes cassolettes,
et les nacres, peintes sur leur torse
qui viennent amuser les déesses
et persuader leurs agiles traîtresses.
p.84
LA PRINCESSE CLAIR-DE-LUNE
La princesse Clair-de-Lune, argentine en robe rosée,
cueille au matin frais la rosée
aux coupes de fleurs pourpres et de fleurs amarantes
qui vibrent légèrement, au vent du matin frais
hors leurs cornets de porcelaines à guirlandes
de fleurs d'émails transfigurées.
Une jonque blanche à la calande
d'un étang sommeillant parmi le vert d'aurore,
de larges feuilles où perle la rosée
en courses de mobiles insectes de diamants,
attend, flottante un peu, à l'amarre couleur d'or;
au pavillon d'ébène, la neige d'un grand store
abrite les suivantes aux clairs yeux d'aimants.
Aux branches roses d'un arbre en fête
scintillent des trilles d'oiselets.
Les bagues aux mains prestes de la princesse
rient du vol éclatant des roitelets,
cependant qu'en la brise légère comme de gaze
elle enclôt la goutte du sourire en fête
de chaque fleur, de chaque petite âme de liesse
qui s'essore de chaque blanc vase.
Le matin radieux, les mains pleines de couronnes
qu'il tresse aux parterres solaires
descend vers la princesse, et déjà voici l'heure
qu'après l'hommage vif que lui tend la lumière
la petite princesse rentre aux tissus des tentes,
pour, loin du jour violent dont l'incendie claironne,
écouter les guitares en buvant la rosée
aux arômes limpides de fleurs distillées.
p.220-221
LA TAPISSERIE DES OUATRE ÉLÉMENTS
I L'EAU
Sur un grand divan, soie d'argent
et grandes fleurs bleues sur le fond crémeux
et ses mains égrenant des perles,
bouquet du matin diligent
voici Thétis inconsolée.
Ses cheveux sont ondés comme la vague déferle
par un temps doux de belle arrivée
et ses yeux verts, languides, sont une caresse
même en ce temple de grâces paresseuses,
et les Néréides aux tresses emperlées
l'entretiennent des nouvelles
que les mouettes à tire d'aile
apportent des terres fabuleuses.
Le bon seigneur Neptune est encore irrité !
Les fils des hommes, ces mécréants, dans la puissance
qu'ils tiennent d'obscurs Titans
infatués de courte science,
conquièrent sur la mer des lisières d'une coudée
ou deux ou trois, et loin qu'on puisse s'élever
comme autrefois
en face le sable blanc sur la mer sans limite
vers la plaine onduleuse et rase,
de grandes digues comme des terrasses
se dressent, et voici la terre masquée
et l'on voit, au lieu du vert de ses prairies
ou du large velours de ses moissons jaunies,
la pierre d'ennui de ses quais.
Le bon seigneur Neptune est encore irrité !
Voici les lourds bateaux cheminant vers les îles
où l'on pouvait encore s'ébattre en liberté,
et se fâcher serait grave ; les bateaux brisés
laissent vers les Edens sous-marins crouler
de si pâles faces de noyés
qu'en l'intérêt de nos splendeurs,
il vaut mieux que ces vainqueurs d'une heure
passent sur nos fêtes, avec tranquillité.
Les ignorer, c'est un châtiment
suffisant pour notre divinité.
Ah! qu'ils en seraient amants,
s'ils savaient encore lire notre enchantement !...
p.81-82-83
LA COUPE
Dans cette coupe d'onyx
griffue d'ébène par une chimère
l'éphémère flot du Styx
passe et s'écoule vers la mer ;
la mer creuse où les voiles vertes
des espérances sont en panne
dans la bonace aux doigts inanes ;
le ciel bâille comme plaie ouverte.
De rouges gouttelettes à la coupe d'onyx
tombent et s'effacent
et le songe noir seul montre sa face
au fond de la coupe, et son regard fixe.
p.52
Violoneux de Lorraine
I
Extrait 1/3
Voici des bouquets pour la fiancée,
des feuilles de lierre, du jasmin, du muguet
et des fleurs douces de fraisier ;
voici des bouquets pour la fiancée
modeste comme jasmin, discrète comme muguet.
Ses lèvres jeunettes seront fraîches comme fraises
quand l’époux les aura baisées.
Voici des bouquets pour la fiancée,
pour son blanc corsage et ses brunes tresses.
Violoneux jouez pour la fiancée.
Les liserons rampent au flanc creux des violons,
la tige do houblon serpente autour des flûtes,
jouez, violoneux, pour la fiancée.
Plus tard, allègrement, avant que la saison
ait effeuillé les ravines et les buttes
vous jouerez gaiement, pour rire à la mariée —
Jouez d’un ton doux pour la fiancée. …
p.148
L’émission « Poètes oubliés, amis inconnus », par Philippe Soupault, diffusée le 3 avril 1960 sur France Culture.