Une fois de plus, et pour notre plus grand intérêt,
Philip Kerr nous sert une aventure de Bernie Gunther, et prend son temps pour nous faire pénétrer dans les arcanes du pouvoir nazi, nous promener dans le sinistre Berlin de 1942, où les habitants, dénués de tout, errent comme des âmes en peine, et au bord du lac de Wannsee, où se pavanent les huiles du régime, dans la célèbre villa Minoux, celle-là même qui accueillit en janvier la très célèbre conférence statuant sur le sort des juifs d'Europe.
Cette fois, c'est d'une autre conférence qu'il est question, à laquelle Bernie Gunther doit participer, ce qui va l'entraîner, là où il n'aurait certainement pas souhaité se rendre ... mais qui va lui permettre, grâce à
Joseph Goebbels, qui " dans son propre costume d'été blanc, ressemblait à s'y méprendre à un infirmier dans un asile d'aliénés, ce qui n'était peut-être pas très loin de la vérité", de rencontrer la magnifique Dame de Zagreb, j'ai nommé Dalia Dresner, la célèbre actrice, joyau de la UFA, la société de production cinématographique alors sous contrôle du bras droit de Hitler.
Il faut attendre le tiers du livre pour faire la connaissance de
la dame de Zagreb, dont Bernie Gunther va instantanément tomber amoureux, mais en attendant cette rencontre le lecteur est enchanté de retrouver Bernie, ayant toujours la dégaine de celui qui se promène avec détachement dans la vie, toujours aussi cynique, avec son humour ravageur, sa façon désinvolte de traiter avec les nazis, qu'il déteste, mais néanmoins très soucieux de préserver sa peau.
Cependant, pour les beaux yeux de sa belle, il n'hésitera pas à affronter les Oustachis, une horde d'abominables meurtriers, maîtres de la Croatie en cette sinistre année 1943 , dans une Yougoslavie à feu et à sang, et les services de renseignements de tout poil, dans une Suisse paradis d'espions, où assassinats et enlèvements sont monnaie courante....
Du coup, le lecteur, effaré, se demande ce qui est le moins dangereux !!!
Philip Kerr prend son temps pour planter ce décor où faux-semblants et traîtrise prennent tout leur sens, où le coeur de Bernie s'enflamme, où le lecteur, grâce au talent de l'auteur, et à ses recherches historiques approfondies, se retrouve confronté à des épisodes du conflit mondial moins connus, - avec, par exemple, la "visite" du camp d'extermination de Jasenovac, où serbes, juifs et roms sont monstrueusement assassinés par les oustachis croat
es au nom de la pureté ethnique - mêlant avec art réalité et fiction, un épisode où transparaît plus encore que d'habitude l'humanité désenchantée, et la profonde tristesse de son héros, dans cette Allemagne en décomposition, à la veille de l'effondrement du 3ème Reich.
Encore une réussite de
Philip Kerr, et sa disparition prématurée, hélas, n'en est que plus poignante.