Ce tome fait suite aux 3 tomes de la série Rai (à commencer par Welcome to New Japan) qu'il vaut mieux avoir lu avant, et il en constitue une forme de dénouement. Il comprend les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016, écrits par
Matt Kindt, dessinés, encrés et mis en couleurs à l'infographie par
Clayton Crain qui a également réalisé les couvertures. le premier épisode débute par 3 illustrations en pleine page réalisées par
David Mack. Ce tome comprend également les 5 pages de prologue parues dans le numéro Free Comic Book Day, écrites par
Matt Kindt, dessinées et encrées par
Clayton Crain, et mises en couleurs par
Brian Reber. Il se termine avec les couvertures variantes réalisées par
Ryan Bodenheim,
Clayton Henry,
Tula Lotay (exceptionnelle comme d'habitude),
Ryan Sook,
Philip Tan.
En l'an 4001 après Jésus Christ, l'humanité a construit une intelligence artificielle, appelée Father, qui a guidé la construction d'un immense vaisseau spatial, en orbite autour de la Terre. Ce vaisseau a été baptisé New Japan et l'humanité y vit dans une utopie, sous la gouvernance de Father. Rai, une créature humanoïde créée par Father à partir de matériel génétique humain, a découvert quelques indices laissant penser qu'il y a un prix à payer pour cette utopie. Cela lui a été confirmé par Lula Lee, une humaine habitant New Japan, qui a découvert la présence de Karana, la géomancienne de l'époque, descendante d'une lignée chargée de veiller sur la Terre.
Dans le secteur 938, un habitant est en train de chasser le dinosaure à l'arc. Malheureusement, Father, miné de l'intérieur par un virus, est obligé de délester New Japan de quelques secteurs et il choisit celui-là entre autres. Lula Lee regagne l'appartement de ses parents qui s'inquiètent pour elle, mais qui ne comprennent pas ses actions. Elle se retrouve à fuir seule. Rai est coincé sur Terre, à la recherche d'une arme pour affronter Father et d'un vaisseau pour regagner New Japan. Il est accompagné par Eternal Warrior (Gilad Ani-Padda) et Lemure, un être humain issu d'une des communautés n'ayant pas été transportées sur New Japan. Father est-il en mesure d'éradiquer le virus ? Rai et ses compagnons seront-ils de taille à affronter Father s'ils arrivent jusqu'à lui ?
Au rythme d'un fois par an, l'éditeur Valiant met en chantier un événement qui permet aux personnages des différentes séries qu'il publie de se battre ensemble. le précédent était Book of Death en 2015 par
Robert Venditti &
Doug Braithwaite. En 2016, il revient à
Matt Kindt de concevoir et d'écrire un récit sur la base de la série Rai dont il est également le scénariste. A priori le lecteur est dubitatif car Rai est une série de science-fiction qui se déroule en 4000/4001, sans connexion possible directe avec les séries Valiant se déroulant au temps présent. Effectivement, 4001 A.D. peut se lire sans rien connaître des autres séries Valiant, à part celle de Rai. le rôle de la géomancienne et d'Eternal Warrior reste marginal et le lecteur ne les connaissant pas ne perdra rien à l'intrigue. Par contre cette minisérie est réalisée par
Matt Kindt &
Clayton Crain, soit les créateurs qui ont réalisé les 12 épisodes de la série Rai. Effectivement 4001 A.D. constitue la conclusion de l'intrigue racontée dans ces 12 épisodes. de surcroît, il n'est pas indispensable de lire Rai Volume 4: 4001 A.D. pour comprendre la présente histoire. En effet ce tome 4 raconte la genèse de la lignée des Rai, avec un scénario de
Matt Kindt, et des dessins de CAFU.
Les 3 tomes de la série Rai et les règles concernant ce genre d'événement éditorial induisent que le récit sera celui de la grande bataille spectaculaire entre Father et ses opposants. le lecteur constate qu'en fait le scénariste a choisi de restreindre le nombre d'opposants en se concentrant sur Rai et ses 2 compagnons (Gilad Ani-Padda et Lemure) et sur Lula Lee accompagnée de la géomancienne. Il n'est par exemple plus question de Momo ou Izak apparus dans le tome 2 de Rai. Ce choix rend ce tome plus facile d'accès pour tous les lecteurs. du fait que l'éditeur Valiant soit d'une envergure assez limitée, il est vraisemblable que le lecteur potentiel sera attiré par les noms des créateurs, les mêmes que ceux de la série Rai, c'est-à-dire qu'il aura lu lesdits tomes. Il apprécie les 3 pages de récapitulatif illustrées par
David Mack pour se remémorer la situation et les enjeux, en se délectant de ces illustrations tracées au pinceau avec de l'encre noire.
En ayant déjà lu les 12 épisodes de la série Rai le lecteur sait par avance que
Clayton Crain est l'artiste de la situation et que ses pupilles vont être à la fête. Cet artiste réalise ses pages à l'infographie et les conçoit comme un tout. Dans la mesure où il fait lui-même la mise en couleurs, il peut s'affranchir des traits de contour encrés, utilisant plutôt la différence des couleurs pour montrer la limite de chaque surface. Il en découle une apparence de comics peint avec une alternance d'outils et de type de peinture. Une surface peut aussi bien être peinte à gros trait, avec le blanc de la page encore apparent par endroit, que réalisée avec les outils les plus élaborés de l'infographie, avec incorporation de textures et d'effets spéciaux. Dans le premier cas, le résultat transcrit le mouvement et la rapidité ; dans le deuxième cas, il s'agit d'établir un environnement dans le détail ou de rendre compte des spécificités d'une surface ou d'un composant.
En peignant à gros trait, Crain conserve la spontanéité du dessin et évite de figer les personnages. Ces derniers disposent tous d'une apparence spécifique, de tenues futuristes sans être kitsch, et parfois d'augmentation technologique se manifestant par un ajout sur leur peau, ou par une apparence complètement artificielle, comme les reflets sur la peau de Rai, ou le corps robotique et mécanique de Father. En utilisant les modules de l'infographie, il ajoute une texture écailleuse sur la peau du dinosaure, il intègre des effets spéciaux de flammes pour montrer la force destructive. Il peut simuler l'apparence des couleurs appliquées à l'aérographe pour un effet scintillant. Il peut créer des modèles 3D complexes. Il peut déformer les surfaces jusqu'à les entremêler pour montrer qu'elles fusionnent sous l'effet de la chaleur ou de la force. Il peut créer des visions paysagères associant différentes techniques de dessin, en les intégrant par le biais de l'infographie.
Le lecteur en a donc pour son argent sur le plan visuel. Il est venu pour un spectacle grandiose et des destructions massives : elles sont là dans toute leur démesure, magnifiées par des effets pyrotechniques maîtrisés.
Clayton Crain est aussi à l'aise pour une séquence d'affrontement dans l'espace avec une reconfiguration de New Japan dans une forme de combat mythologique, à savoir un dragon impérial métallique, que pour établir les différentes architectures des colonies sur Terre, en fonction de l'environnement. le lecteur éprouve un grand plaisir à regarder, observer et détailler des environnements de science-fiction denses, cohérents entre eux et détaillés. Cette approche s'avère beaucoup plus ambitieuse que les kilomètres de technologie sans âme et dépourvue de sens qui tapissent les vaisseaux extraterrestres dans les comics de superhéros.
Matt Kindt a donc préparé cet affrontement pendant les 12 épisodes de la série Rai. Il laisse de côté certains éléments qui étaient présents, et en introduit d'autres. Il adresse un clin d'oeil à Turok le chasseur de dinosaures avec la séquence d'ouverture dans le secteur 938, car il s'agissait d'une des séries initiales parmi celles éditées par Valiant dans les années 1990. Il continue de mettre en scène la géomancienne Karana même si elle n'apporte pas grand-chose à l'intrigue, de la même manière qu'il intègre Gilad Ani-Padda pour respecter son immortalité et le fait que cette histoire se déroule dans le futur de l'univers partagé Valiant. Mais le coeur du récit reste bien l'affrontement entre Father et Rai pour le futur de New Japan, et donc le futur de l'humanité. En bon professionnel, le scénariste conçoit des scènes spectaculaires pour tenir les promesses de tout récit de type événementiel. L'équipe de Rai affronte les différentes épreuves avec un prix à payer, et avec un petit coup de pouce apporté par Lula Lee, comme le lecteur s'y attend.
Mais le plaisir de la lecture ne se limite pas à découvrir un récit grand spectacle, avec une mise en images sophistiquée et efficace. Avec un nom comme Father, le lecteur s'attend à une confrontation entre père (Father) et fils (Rai) sur le thème sous-jacent de l'autonomie. Elle a bien lieu avec un conflit de valeurs qui se manifeste au travers du conflit physique. Il ne s'agit donc pas simplement d'échanger des coups physiques, mais de confronter 2 points de vue irréconciliables. le lecteur se rend également compte que
Matt Kindt est bien un auteur de science-fiction, car en dessous du comportement dictatorial de Father se glisse la question du prix à payer pour une utopie. Il ne s'agit pas simplement de condamner les manipulations de Father et les crimes commis au nom de l'intérêt général, il s'agit aussi de se demander si cette utopie répond aux attentes de l'humanité et de chaque individu. Au début de la série Rai, les êtres humains vivent dans le contentement physique : maladies éradiquées, absence de famine ou de guerre, éducation pour tout le monde, même le problème de la solitude a été résolu. En mettant un terme violent à cette utopie, Rai fait redescendre l'humanité de plusieurs échelons en termes de qualité de vie et de bonheur.
Matt Kindt met en scène ce retour en arrière de manière à ce que le lecteur soit amené à se poser cette question, à se demander quelles seraient les caractéristiques d'une utopie acceptable, mais aussi qui comblerait les attentes et les besoins de l'humanité. Par ce questionnement, il utilise les conventions de la science-fiction pour s'interroger sur la condition humaine.
Dans le sous-genre des récits de superhéros ou de science-fiction sous la forme de comics, le récit événementiel constitue un défi pour tout scénariste, dans lequel beaucoup se prennent les pieds. Avec 4001 A.D.,
Matt Kindt réalise une histoire spectaculaire à souhait, dont le potentiel s'exprime pleinement grâce aux dessins complexes et magnifiques de
Clayton Crain. le lecteur découvre également que les 2 créateurs se sont montrés ambitieux en tirant parti des libertés offertes par le genre de la science-fiction pour interroger le lecteur sur l'utopie, et le genre de société parfaite susceptible de combler toutes ses attentes.