KLINGSOR
« Un homme sans amour est un dormeur sans rêve »,
Dit-elle ; il posa son bonnet de Syrie,
Ôta sa pipe de ses lèvres
Et sourit.
Il avait déjà dans sa barbe d’or
Des fils d’argent, mais ses yeux étaient comme
Ceux des rois mages qu’on adore
Pour avoir cueilli le bonheur des hommes.
Son manteau de soie et ses manches
Étaient brochés de chimères agriffées
Avec des revers d’hermine blanche
Et des dentelles comme des collerettes de fées.
Sa cathèdre toute en bois de rose
Était sculptée de licornes doubles
Où dans sa grave pose
D’enchanteur, s’appuyaient son chef et ses coudes.
Il sourit. Il sourit comme un roi mage
En sa barbe blonde fleurie de givre,
Leva les yeux du vieux missel d’images
Et ses doigts tournèrent la page du livre.
« Un homme sans amour est un dormeur sans rêve »,
Reprit-elle... Et Klingsor songeant
L’ayant très amicalement baisée aux lèvres
Se remit à fumer son calumet d’argent.
PETER SCHLEMIHL
Le grand seigneur ôte son chapeau
Aux plumes merveilleusement irisées ;
— Le page noir ôta son chapeau.
Le grand seigneur envoie trois discrets baisers
À madame Laure au balcon, qui regarde ;
— Le beau ténébreux envoya trois baisers.
Le grand seigneur tire sa cochelimarde
Et jette sur l’herbe son manteau ;
— Le page noir tira sa cochelimarde.
Et c’était Peter Schlemihl, dieu me damne !
Qui venait de pourfendre son ombre
D’un coup mirobolant de sa dague, —
Si pourtant l’on peut pourfendre une ombre.
Chante mon fou...
Manteau vert et rose,
Manteau rose et vert ;
À sa marotte une rose
Et des manches à revers.
Chante mon fou...
Révérences à la ronde
À princesses ou ribauds,
Et se rire du monde
Sur un escabeau !
Chante mon fou...
Chevrote une ballade,
Vide un gobelet ;
Son doux cœur est malade :
Mais où meurt Triboulet ?
Chante mon fou...
SCHÉHÉRAZADE
Douce Schéhérazade encor un conte !
Où l’on cueille des bouquets d’Engaddi
ou des roses noires d’Endor,
où se rencontre
le magicien d’amour maudit
avec Miryamie au jardin, qui dort.
Douce Schéhérazade encor un conte !
Où viennent pépier les bengalis
en leurs robes adorables d’oiseaux,
où l’on rencontre
avec leurs cinnors aux airs jolis
les couples ennoués des damoiseaux.
Douce Schéhérazade encor un conte !
Ou bien où songe en sa forêt d’Orient,
comme un mort qui serait paré d’oranger,
quelque vieux comte
d’Assur ou de Tripoli, souriant
dans sa blanche barbe de chanvre léger...
Cueille la rose et le fuseau…
Cueille la rose et le fuseau
De la lèvre ou du doigt ;
J’ai vu passer au bois ton damoiseau :
Cueille la rose et le fuseau
Que voici fleuris pour toi.
La rose est blanche
Et le fuseau de verte soie ;
Ta main joliment se penche
Vers la rose blanche
Et ta lèvre sourit de joie.
Celui qui fredonnait au matin léger,
Ah ! n’était-ce ton damoiseau ?
Et depuis n’es-tu pas à songer
De l’enfant jaseur au pas léger ?...
Cueille la rose et le fuseau.
POÉSIE 16e – La Naissance du sonnet en France (Chaîne Nationale, 1959)
Un extrait de l’émission « Heure de Culture française », par Tristan Klingsor, diffusée le 10 juillet 1959 sur la Chaîne Nationale. Lecture : Renée Garcia et Bernard Dhéran.
Mise en ligne par Arthur Yasmine, poète vivant, dans l’unique objet de perpétuer la Poésie française.