J'ai toujours aimé les mangas de
Satoshi Kon que j'ai lu, mais en général plus pour l'émotion qui s'en dégageait et l'ambiance ainsi créée. Ici, j'ai la surprise de découvrir un concept fou qui a fonctionné du tonnerre de dieu sur moi, celui de la création dans la création. du pur génie !
Je savais que
Satoshi Kon était un artiste brillant. Il l'a démontré aussi bien dans sa filmographie que dans sa bibliographie. J'ai adoré aussi bien le thriller Perfect Blue au cinéma, que l'entêtant et engagé Pacte de la Mer entre les pages de la belle édition de Pika. Mais rien ne m'avais préparé à l'expérience Opus, expérience au cours de laquelle il se livre à un vrai exercice de style un brin casse-gueule mais magistralement exécuté. le monsieur a de la ressource et il sait exploiter son talent de metteur en scène.
Les mangas qui parlent de mangas, on commence à en avoir, mais des comme ça, non ! L'auteur m'a d'emblée déstabilisée avec des premières pages couleurs qui sont en fait le récit que le héros même de ce récit met en scène, celui-ci étant lui-même mangaka. On va suivre, dans un premier temps, le quotidien de Chikara Nagai qui est en passe de boucler SA grosse série, une série futuriste où un soir alors qu'il est en plein bouclage, il se retrouve littéralement emporté.
Ce qui est fantastique dans ce titre, c'est que rapidement tous les personnages sont conscients de qui il sont : auteur, personnage d'un mangaka, héroïne, héros sur le point de mourir, etc. Cela donne une histoire totalement folle et déjantée où
Satoshi Kon brise sans cesse le 4e mur avec un héros presque clone de lui-même, mais peut-être pas tellement.
Il truffe son histoire d'énormément de références et clins d'oeil à d'autres artistes. le nom de son héros rappelle celui de Go Nagai, auteur de Devilman, anti-héros rappelant le méchant de l'histoire présente par la forme de son visage / masque. Son héroïne est copiée sur celle qui suit partout le héros d'Akira. le monde du manga qu'il a inventé est un hommage au cyberpunk et aux oeuvres de K.Dicka mais aussi à Gunnm ou V pour Vendetta. Et je suis sûre que j'en oublie. C'est jouissif de partir à la quête de la petite référence glissée.
J'ai adoré aussi bien le mélange des genres avec ce mangaka plongeant dans son histoire et vivant celle-ci, son héros étant bien décidé à ne pas mourir, et avec cet univers de SF sombre où le peuple est bien embêté par ce terroriste masqué qui peut manipuler les foules. On retrouve d'ailleurs l'appétence des auteurs et lecteurs des années 90 pour les pouvoirs para-psychiques.
Satoshi Kon nous entraîne dans une course perpétuelle, parfait reflet de celle du mangaka en quête d'idées et devant rendre rapidement ses planches. le titre est d'ailleurs une mise en abyme géniale sur ce métier.
On suit en parallèle l'histoire du mangaka emporté dans cet univers et devant en sortir pour boucler son projet mais bien en mal d'y parvenir puis en panne d'inspiration, et l'histoire propre à l'univers de son manga où ses héros doivent mettre en point final à l'entreprise du méchant qu'ils poursuivent. Ces scénarios imbriqués l'un dans l'autre seraient déjà passionnants à suivre individuellement mais ensemble, c'est fantastique.
Pour autant, on se retrouve plus dans une histoire concept qu'une histoire où les personnages ont des personnalités marquantes. Je n'ai pas ressenti d'accroche particulière vis-à-vis d'eux, même s'il y a peut-être du potentiel avec Satoko qui reproche à son créateur tout ce qu'il lui a fait vivre ou avec Rin qui lui en veut pour son désir de le tuer, mais pour le moment la mise en scène de ces sentiments est un peu mince à mon goût, l'action prenant le pas sur tout le reste.
Avec brio,
Satoshi Kon nous entraîne effectivement dans une course-poursuite permanente où le héros mangaka se retrouve propulsé aux quatre coins de son héros. La mise en scène et la mise en page sont brillantes. Il y a cette ouverture déstabilisante où on se demande où on se trouve. Puis, il y a cette volonté permanente de briser les cases et d'interagir avec le matériau même du manga : esquisses, décors, scénarios et planches mêmes. C'est une idée fabuleuse et il fallait un auteur à l'esprit aussi psychédélique que lui pour y réussir car ce n'est pas simple de tirer une ligne claire d'une telle tambouille qui a tendance à emporter le récit dans plein de directions différentes, mais il y parvient.
Après avoir adoré ces oeuvres portées par l'émotion (Le pacte de la mer,
Fossiles de rêves) et celle avec un univers géo-politique futuriste extrêmement prometteur (l'inachevé Seraphim),
Satoshi Kon se montre également brillant dans le manga concept, avec ce héros briseur perpétuel de Quatrième mur, qui nous propose une aventure enlevée, bourrée de références et de réflexions sur son métier. Je suis assez époustouflée par le résultat !
Lien :
https://lesblablasdetachan.w..