"Attention à vos pieds
attention dans la brousse,
Biddle, Biddle,
c'est là qu'elle pousse..."
Ouvrez bien les yeux en traversant la bourgade de Comfort Notch (3533 âmes) et restez vigilants. "Ici on trouve le plus bel automne de toute l'Amérique", proclame fièrement la pancarte à l'entrée de ce paradis campagnard, et elle ne ment pas. Nulle part ailleurs on ne verra une pareille flamboyance de rouges et d'ocres dorés dans un cadre aussi apaisant.
Tout le monde connaît tout le monde, et les relations entre voisins sont aussi chaleureuses que la nature environnante.
C'est peut-être une occasion pour démarrer une nouvelle vie pour Kat et sa petite Sybil ; ni l'une ni l'autre ne vont particulièrement bien, et une vie simple à l'image de ce bonheur bucolique pourrait être un bon pensement pour les nerfs en pelote de ces deux "filles à problème".
Vraiment, la pancarte ne ment pas, mais elle ne dit pas tout...
Kat hérite d'une façon un peu énigmatique de la maison de sa mère, une vieille teigne cordialement détestée de tous, y compris de sa propre fille. Oublier et recommencer... il faut faire quelques efforts, et elle fait vraiment de son mieux pour se fondre dans le paysage. Entretenir des bonnes relations avec ses voisins, entretenir le jardin (pourquoi tout le monde semble se méfier de ces feuilles aux couleurs splendides à l'approche de l'équinoxe ?), mais aussi, un peu malgré elle, entretenir sa mémoire. Cette vieille comptine sur la malheureuse Clementine Biddle... elle l'a récité aussi, autrefois, et tout lui revient peu à peu. En tout cas, suffisamment pour deviner que les plaisantes coulisses de la bourgade ne sont qu'un décor en carton-pâte qui cache des choses très, très sombres...
Lors de la dernière masse critique, je n'ai pas pu résister à la couverture lugubre d'"
Automnal", ni au court résumé de ce roman graphique, et le fait que son auteur a fait quelques collaborations avec
Guillermo del Toro était un gage de qualité supplémentaire. Certes, le scénario peut paraître "classique", et en quelque sorte même "prévisible", mais j'ai eu exactement ce que j'espérais : une bonne histoire de "folk horror", un peu dans le style des bourgades endormies de
Stephen King ou d'
Ira Levin, où quelque chose de malsain grouille sous la surface, ou encore des films comme "Le Village" de Shyamalan et "Population 436" de MacLaren... sans parler de "Sleepy Hollow" de Burton ou de "The Witch" d'
Eggers. Les exemples de communautés perverties soumises aux légendes locales sont nombreux, et l'angoissante atmosphère d'"
Automnal" s'inscrit parfaitement dans la lignée. On sait bien vite que quelque chose cloche, mais on a d'autant plus envie de découvrir de quoi il s'agit. Et on continue à tourner les pages, tout en se laissant (dés)agréablement gratter l'échine par une feuille imaginaire aux couleurs de feu, mais froide comme la terre d'une tombe.
Les paroles de la comptine vont changer à la fin du livre, chantonnées par la nouvelle génération de Comfort Notch, mais est-ce aussi la fin de la malédiction ?
Pour ceux qui ne seront pas tout à fait convaincus par le scénario, il reste toujours le remarquable travail graphique : "stylos et pinceaux, fusains et tablette numérique" des trois collaborateurs à l'image nous transportent directement au coeur de l'horreur, et il faut dire que c'est efficace. Rien ne nous est épargné, ni la beauté factice de la bourgade
automnale, ni la noirceur de son âme.
Je n'ai pas pu réprimer un sourire devant la note de l'éditeur concernant la couverture de la version française, "drapée dans un geltex nieve au grain léger rappelant l'écorce d'une jeune pousse" - rien que cela ! On ne peut pas s'empêcher de peloter sans arrêt sa surface à la recherche des sensations promises - mais il faut reconnaître que les éditions 404 ont fait un travail tout à fait digne.
4,5/5 ; la demi-étoile imputable au fait que je n'étais pas particulièrement touchée par l'héroïne. Reste une sensation finale que désormais je vais frissonner à chaque fois que j'entendrai les mômes réciter une vieille comptine, idéalement accompagnée de sinistres petits rires cristallins. Elles ont forcément toutes une histoire cachée, quand on se donne la peine de chercher derrière leur hypnotisante mélopée...