The Moor's Account

+++++++ LE RAPPORT DU MAURE +++++++

Ou la rencontre historique entre conquistadors espagnols et les Indiens du nouveau monde, raconté par un témoin maure.
Voilà l'objet original et ambitieux du roman de l'écrivaine marocaine, Laila Lalami, publié à Londres en 2015.

Comme Moustapha ibn Mouhammad al- Zamori l'explique dans un avant-propos, son récit de voyage d'Azemmour (actuellement au Maroc) aux pays des Indiens, en l'an 934 de l'Hégire (1527), est vrai de vrai, contrairement aux récits de son chef Andrés Dorantes de Carranza et de ses compagnons castillans Alonso del Castillo Maldonado et surtout Álvar Núñez Cabeza de Vaca qui ont omis certains faits tout en inventant d'autres pour plaire à leurs supérieurs et en particulier au Vice-Roi d'Espagne.

Moustapha que les Espagnols ont rebaptisé Estevanico, lorsqu'ils l'ont racheté à des négociants portugais, a donc réellement existé et a été employé par les conquistadors comme interprète avec les Amérindiens. Il a été tué par les Indiens zuñis, une tribu importante qui habitait avant l'actuel Nouveau-Mexique et l'Arizona, en 1539, à même pas 40 ans.
Les mêmes pas 10.000 Zuñis qui ont survécu vivent aujourd'hui dans une réserve à Gallup aux États-Unis. le sociologue Jean Cazeneuve leur a consacré un ouvrage fascinant "Les Indiens zuñis : Les dieux dansent à Cibola" en 1993.

Un autre auteur marocain, Hamza Ben Driss Ottmani (1940-2012), a également publié une biographie du conquistador du Maghreb "Le Fils du Soleil : L'Odyssée d'Estevanico de Azmor", hélas introuvable de nos jours.

La fameuse expédition était sous les ordres de Pánfilo de Narváez (1470-1528), qui avec son cache-oeil noir avait plus l'allure d'un pirate que l'honorable commandant d'une armada royale.

Car c'est d'une véritable armada qu'il s'est agi, composée de 5 caravelles, 600 hommes, 10 femmes, 13 enfants et une cinquantaine d'esclaves, comme notre héros, et... 80 chevaux.

Le but de cette expédition était de conquérir du pays pour le roi d'Espagne, l'empereur Charles Quint (1500-1558) de propager l'unique foie et de trouver de l'or, le fabuleux et mythique "Eldorado".
Estevanico espérait quant à lui ainsi racheter sa liberté.

Dans un 2e chapitre Moustapha nous raconte sa naissance dramatique au moment de traverser une rivière entre Fès et Azmor et pendant une bagarre entre son père et 2 soldats portugais. Sa mère, Heniya, qui était d'une beauté sans pareil et aimait réciter de la poésie, avait été déjà 2 fois veuve à 17 ans, avant de rencontrer le juge Mouhammad, le père de notre homme.

À la mort de son père et en pleine crise économique en Barbarie (nom pour l'Afrique du Nord), pour sauver sa mère, sa soeur et ses petits frères jumeaux de la famine, Moustapha s'est vendu lui-même sur un marché d'esclaves en 1522 pour 15 reais portugais. Je n'ai pas réussi à trouver sur le net le moyen de convertir ce montant en euros, mais sachez qu'il s'agit d'une somme tout à fait dérisoire pour une vie humaine, bien entendu.

Le plus captivant du livre est le récit de ce périple aventureux et dangereux d'Apalache sur la côte mexicaine à Tenochtitlán, l'ancienne capitale des Aztèques et Mexico City maintenant, pendant 8 longues années de 1528 à 1536.
Il y a un peu de tout : l'inconnu, la peur, le courage, l'amitié, la rivalité, la faim, la mort, les abus, l'amour et le cannibalisme pour survivre.

Le rapport du Maure nous donne une très bonne idée de ce qu'ont dû être en somme ces expéditions espagnoles en Amérique Centrale et Latine, ainsi que les rapports complexes entre Castillans et Amérindiens.

C'est dommage qu'il n'y ait pas de cartes géographiques qui nous auraient sans doute permis de mieux suivre encore le progrès de cette odyssée fascinante.

L'auteure a été finaliste avec cet ouvrage pour le Prix Pulitzer Fiction 2015, ce qui n'a rien d'étonnant pour une oeuvre aux nombreuses qualités, qui a été pour moi un véritable coup de coeur.
Je crois que je vais joindre incessamment le fan-club de Laila Lalami.