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4,06

sur 2578 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Philippe Lançon, parce qu'il l'a vécue dans son corps et à la vue de celui de ses amis, victimes des balles terroristes, qu'il y met des mots, beaucoup de mots (trop parfois) qui ne peuvent que faire sens, nous confronte à sa souffrance, à la souffrance, sans échappée ni mise à distance possibles. Car ici l'homme se met à nu pour raconter. L'indicible violence de l'attentat, et sa peur. La mort de ses camarades devenue obsession. Sa reconstruction longue et difficile, aidé de ceux qui l'ont soigné et soutenu sans faille.

Une introspection obsédante, angoissante, traumatisante, qui nous met face à une réalité que l'on préfèrerait tenir éloignée. de peur d'avoir peur, de voir la menace du monde prendre le pas sur l'insouciance et la légèreté bienfaisantes de nos vies. Remettant les pendules à l'heure des valeurs vraies dont on s'éloigne pour des motifs futiles, une introspection dont la sincérité et la puissance lui confèrent le pouvoir de nous atteindre, individuellement.

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A sa sortie, « Le lambeau » a reçu un accueil critique exceptionnel tant de la part des journalistes que des lecteurs. Eloges et encensements sont pratiquement unanimes pour ce livre qui vient d'être édité deux ans après les évènements, certains parlent même de chef-d'oeuvre. Cette quasi-unanimité est-elle justifiée ou est-elle le résultat d'une absence de distance et d'esprit critique de la part de confrères encore sous le coup de l'émotion ?

La tragédie de Charlie Hebdo a marqué nos esprits, pourtant, le 7 janvier 2015, la France est loin d'être « Charlie ». Le journal satirique est depuis longtemps en perte de vitesse et à court de moyens. Ses journalistes se sont réunis comme chaque semaine pour la conférence de rédaction lorsque deux hommes vêtus de noir, cagoulés et lourdement armés, font irruption dans la salle de rédaction tirant sur tout ce qui bouge… Philippe Lançon est fauché par les balles qui emportent sa mâchoire et « sa vie d'avant », et quitte « le monde où la vie continue ».

Revenu d'entre les morts, Philippe Lançon nous raconte sa douleur dans son livre qui couvre la période de janvier à novembre 2015, durant laquelle il fut hospitalisé et a subi 17 opérations.

Le récit effleure à peine la « vie d'avant » et l'auteur consacre un seul chapitre à l'attentat, chapitre dans lequel il s'efforce de retracer les terribles instants dont il a été le témoin involontaire, avec des images qui viennent continuellement le hanter. Aucun détail n'est épargné au lecteur sur les deux minutes de folie puis celles interminables qui vont suivre. Lançon fait preuve d'une remarquable maitrise pour décrire l'insoutenable qui a fait de lui une victime pour toujours.

Les victimes du 7 janvier sont présentes tout au long du livre et ne cessent de hanter les jours et les nuits de Philippe Lançon. Cette terrible journée sera le point de départ des chapitres suivants qui sont consacrés à sa longue et douloureuse reconstruction. Ils sont le récit poignant de cette improbable reconstruction, celle d'un homme défiguré, dans lequel l'auteur rend hommage au personnel soignant qui met tout en oeuvre pour réparer les vivants. Alors même qu'il est pris en charge par le personnel de l'hôpital, et constamment entouré de sa famille et de ses amis, il survit dans une solitude absolue, accompagné de sa douleur physique et morale.

Lançon analyse jour après jour la difficulté de l’apprentissage de cette nouvelle vie et fait à la fois œuvre de journaliste et de romancier.
Un beau livre qui dépasse 500 pages et comporte parfois quelques longueurs ou répétitions. Toutefois, la qualité de l'écriture de Philippe Lançon et son lourd témoignage en font un des bons livres de ce début d'année 2018.
La valeur thérapeutique c'est de raconter les souffrances et de montrer que la vie ne s'arrête pas. J'ai été sensible à l'absence de dolorisme dans ce roman. Espérons que celui-ci ait un effet thérapeutique pour l’auteur qui ne condamne pas ceux qui sont à l’origine de l’horreur, et qui raconte avec force détails, sans se plaindre et sans jamais livrer un récit déprimant, alors que la douleur et la peur ne le quittent jamais.


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Les hommes cassent les hommes, la chirurgie répare. Et elle a encore fait des progrès la chirurgie, depuis les Gueules Cassées. Philippe Lançon est victime d'une guerre moderne, il est journaliste et se trouvait dans les locaux de Charlie Hebdo. Une balle de Kalach perdue et c'est une mâchoire en moins, sans trop s'attarder sur le reste.
Le début du récit, celui de l'attentat et ce qui a précédé dans la vie du journaliste, m'a captivé, happé, bouleversé. Comment ne pas être gonflé d'émotion sur un événement aussi tragique et bouleversant, surtout quand il est vu de l'intérieur, sans être voyeur. Le reste, les interminables péripéties à la Salpêtrière ou aux Invalides m'ont parfois lassé (mais pas tout le temps heureusement). L'ensemble m'a paru soutenu par une écriture sensible, cultivée et littéraire, avec des références à Proust ou Thomas Mann entre autres, et surtout humaine et bienveillante : les portraits de professionnels de la chirurgie, ses relations avec les policiers en faction pour sa surveillance sont souvent éloquents, touchants. Un récit souvent poignant donc, riche de réflexions et de pensées, malgré ses longueurs.
Si mes souvenirs sont bons il avait été écarté des sélections de prix de la rentrée (ou du moins le Goncourt), parce qu'il ne serait pas oeuvre d'imagination. Oui. Sauf que souvent la réalité dépasse la fiction. Et de loin.

"L'effroi, c'était peut-être ça : la réduction au minimum de l'écart séparant la dernière seconde de vie de l'événement qui va l'interrompre, une mort administrée sans préavis. Dans cet écart, il n'y a pas de place pour grand-chose. Pourtant, ce peu de chose n'en finit pas. Tout le reste, quand on survit, lui est soumis."
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La veille, il est allé au théâtre, il a d’abord été reporter, il est devenu critique par hasard, il travaille à Libération et à Charlie, un petit journal désormais fauché, presque mort, une bande de copains, libres, insouciants il vient d’apprendre qu’il a été retenu pour enseigner la littérature un semestre à Princeton. Nous sommes le 7 janvier 2015. La rapidité du massacre, comme la lave qui a saisi les habitants de Pompéi, une petite salle saturée de sang, de corps emmêlés de poudre, la cervelle de Bernard Maris étalée à côté de lui. Cinq minutes d’horreur qui liquident tant d’années de souvenirs. À la place de son menton et de la partie droite de la lèvre inférieure, un cratère de chair détruite et pendante, un monstre, on ne distingue plus la chair de l’os, une bouillie.

Philippe Lançon nous raconte ses 282 jours d’hôpital protégés par quatre policiers armés, les multiples opérations, tant qu’il y a du bloc il y a de l’espoir. La douleur, il ne peut ni manger, ni boire, ni sourire, ni parler, il est comme un moine trappiste, il communique avec une ardoise et un feutre, il essaye de hiérarchiser ses maux, soutenu et accompagné par les soignants, les amis, la famille, Marilyn Gabriela, les femmes qu’il a aimées, les collègues, il est un élément d’une chaine humaine, celle des tisserands qui vont l’aider à refaire la tapisserie déchirée. Ses blessures sont aussi les leurs. Il est un blessé de guerre dans un pays en paix. Chloé, la chirurgienne, la branche à laquelle comme un naufragé il se raccroche et tout le personnel de l’assistance publique, des gens héroïques qui travaillent avec un matériel fatigué pour un maigre salaire et qui cachent leurs propres blessures. Le patient est un vampire, il est égoïste, il n’a que très peu à offrir, tout est tourné vers son combat mental et chirurgical. Il a des sentiments pour ses amis, mais plus d’amour pour personne, il n’est plus possible de relancer la machine à aimer.

Nous partageons son quotidien et toutes les étapes de sa reconstruction, la greffe d’un péroné sur ce qui reste de mâchoire pour combler le déficit d’os. L’arrivée de la nuit, l’heure de l’angoisse où les souvenirs d’enfance et de jeunesse défilent alimentant les rêves ou les cauchemars attenants avec de faux souvenirs et la confusion, heureusement il y a la sonnette d’appel comme un doudou qui tranquillise la vie du patient. Six mois de rééducation à l’hôpital militaire des invalides. Entre les séances de kiné, il écrit ses articles pour Libération et Charlie. Les livres lus, les films regardés dans la chambre, la musique de Bach, les premières sorties dans les jardins, au théâtre, au cinéma avec toujours deux policiers à ses côtés. Le bonheur du premier aliment ingéré par la bouche, un simple yaourt après deux mois d’alimentation exclusivement par sonde, une renaissance, un retour vers la vie. L’inquiétude de devoir quitter l’hôpital, la liberté enfin de marcher seul, sans aide, sans policier, et puis lors d’un séjour à New York l’annonce de l’attaque au Bataclan, des morts, des blessés, et il sent que tout recommence. Et cette question qu’avons-nous manqué ? Que n’avons-nous pas su faire ? Philippe Lançon nous pose cette question, lui il n’a pas la réponse et les balles qu’il a reçues ne la lui donnent pas davantage.

Un livre très intime, parsemé de portraits puissants, les autres malades, tous rescapés d’une horreur, les soignants, les amis, Cabu, Wolinski, Tignous, son frère, ses grands-mères, jamais on n’a senti une telle proximité avec la douleur, l’auteur sait avec un talent rare nous faire pénétrer littéralement dans son corps brisé, mais aussi au cœur du service hospitalier français. Même si parfois on a l’impression de certaines longueurs, mais c’est du vécu de Lançon dont il s’agit, ce livre inclassable ne peut laisser indifférent ni par sa forme ni par son fond.

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Un livre dont vous n'êtes pas le héros (et franchement heureusement).
Étape 1 : Vous étiez abonné à Charlie Hebdo, passez à l'étape 4, sinon passez à la deux.
Étape 2 : Vous vous êtes abonnés après les attentats, passez à l'étape 4 sinon, la 3
Étape 3 : Vous avez lu ce livre sans connaître M. Lançon, vous n'avez pas spécialement aimé, mais vous avez éprouvé un sentiment de culpabilité et peut être même vous êtes-vous fendu d'une critique (au moins mentale) commençant par « Je suis désolé » ou « J'ai honte » passez à l'étape 9. Si vous ne vous êtes pas senti obligé à un tel positionnement passez au l'étape 4.
Étape 4 : Vous avez aimé : La description de son état de « gueule cassée », vous êtes sentis en résonance avec ses interrogations, ses doutes ses états d'âmes, passez à l'étape 11, sinon étape 5
Étape 5 : Vous n'avez que moyennement aimé, faisant la distinction entre sa description terrible de la catastrophe qui lui tombe dessus, ainsi que sur ses collègues et amis ce fameux jour et ses digressions philosophiques sur ses amours, ses relations avec les médecins, les policiers, les soignants, le président d'alors (si si, il est là lui aussi, merci pour ce moment M. Lançon...) etc... passez au 6 sinon je sais plus trop où vous en êtes alors allez où vous voulez, mais pas en scooter.
Étape 6 : Ce qui vous a empêché d'apprécier pleinement ce témoignage : l'impression de ne pas appartenir au même monde que M. Lançon. Celui des cantates de Bach, des dissertations sur «à la recherche du temps perdu» lu, relu et commenté, de la poésie espagnole en v.o dédicacée, des rappels de ses innombrables voyages, des films muets de Marcel Broodthaers, du Jazz de Elvin Jones... Bref, l'impression d'être au minimum en décalage avec la « jusqu'alors » très élégante vie narrée avec dandysme, passez à la 8 sinon c'est onze.
Étape 7 : Vous ne suivez pas, rien n'y envoie !
Étape 8 : Vous pensez : il a souffert, comme toutes les victimes d'attentats, de guerre, d'accident mais comme il est écrivain français et pas agriculteur yéménite, taxi libyen, tisserand malien, il en a fait un beau roman à succès. Bravo l'artiste. Passez au 10 (de toute façon il fallait aller là ou au 11...)
Étape 9 : Cette critique va vous déranger, je vous déconseille d'en lire plus, ceci n'est certes qu'un ressenti, mais elle ne s'embarrasse pas de devoir de mémoire ni de solidarité spécifique.
Étape 10 : Vous refermez le livre avec une double sensation, un tiraillement contradictoire, une reconnaissance de la souffrance personnelle mais le regret que celle-ci n'aie pas débouché, à aucun moment, sur une essentialisation de celle-ci, embrassant à minima la cause de toutes les victimes de tous les tyrans, ce qui en fait un sacré nombre !
Étape 11 : Vous refermez le livre avec une belle sensation de plénitude, une empathie avec la souffrance endurée, et vous vous dites : quel beau témoignage : il a été bien entouré et rend superbement hommage à tous ceux qui l'ont soutenu.
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Philippe Lançon, journaliste à Libération et chroniqueur à Charlie Hebdo, est un rescapé de l'attentat dans les locaux du journal satirique le 07 janvier 2015.
Bon voilà, le cadre est posé…mais l'intérêt de ce récit est ailleurs, dans la résilience, dans l'association d'idées avec des réminiscences culturelles, des souvenirs de journaliste, pour ne pas ajouter du cru au cruel de cette horreur.

L'auteur nous parle plus de reconstruction, de celle de son être et de sa mâchoire arrachée par une balle de kalachnikov, plutôt que de l'attentat qui fut fulgurant, même si ce chapitre est d'une morbidité insoutenable.

On suit ainsi la greffe faite à partir de son péroné pour remplacer sa mâchoire manquante, preuve du progrès de la chirurgie faciale pour réparer les gueules cassées.

Des morceaux de vie se greffent à son séjour hospitalier. Cela donne un livre riche de références et de pensées, sensible, intime, sans haine.

Le rescapé n 'a pas assisté au récent procès des attentats de janvier 2015 : "Je n'ai rien à dire de plus que ce j'ai écrit ici même dans mon livre “Le lambeau”. Et je suis fatigué.”
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Je n'en voulais pas de ce fameux Lambeau dont tout le monde parlait. Il aura fallu qu'un proche me le pousse dans les mains, et je le remercie d'avoir forcé le passage car une fois ouvert, je ne l'ai plus lâché et lu en deux jours, ferrée et fascinée par la puissance du verbe, l'honnêteté humble et authentique de l'auteur, sa façon de se forger dans la culture un rempart à l'horreur d'un drame qu'il fait revivre dans toutes les dimensions de son abjection.
Je rejoins donc la cohorte des lecteurs que ce livre a bouleversé et garderai l'empreinte d'une lecture qui remue beaucoup de choses en nous, relevant parfois du très intime.
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Nous avons tous vécu un événement particulier qui a conduit notre vie à la croisée des chemins. Un grain de sable, une rencontre, un incident, une confrontation brutale avec la mort. Ce moment nous a marqué au fer rouge et est devenu, malgré nous, un point de repère dans la ligne du temps de notre vie tel un curseur que l'on placerait avec exactitude sur une règle. Ce point de bascule est inscrit à tout jamais dans notre mémoire, voire dans notre corps, et il n'est pas rare, des années après, de se retrouver face à un détail, à priori insignifiant, qui nous replonge, de manière troublante, dans l'événement “comme si c'était hier”.

Le Lambeau de Philippe Lançon est le récit autobiographique d'un homme dont la vie a basculé, au sens propre comme au figuré. le 7 janvier 2015, deux personnes ont déboulé dans la salle de réunion de Charlie Hebdo et ont fait feu, ne laissant que quelques survivants derrière eux dont Philippe Lançon. Un vivant défiguré parmi les morts.
« Qui » devient-on quand on survit à un attentat dont l'onde de choc se fait encore sentir des années plus tard? Entre réflexions personnelles et reconstruction, le journaliste-écrivain lève un coin du voile sur cette période grise qu'il a vécue, entre l'attentat de Charlie Hebdo et celui du Bataclan. Analyse d'un récit intime. A mille lieues du sensationnalisme qui accompagne trop souvent ce thème.

L'écueil du livre-choc est évité d'entrée de jeu quand on se rend compte à quel point Philippe Lançon est imprégné de culture. Entre sorties au théâtre, critiques littéraires et références cinématographiques ou musicales, il n'est pas anodin de penser que c'est ce rapport intime avec la culture qui va lui permettre de garder la tête hors de l'eau pendant de sa pénible reconstruction.
L'art est une nourriture pour l'esprit et une de ces digestions peut nous amener à réfléchir sur notre condition d'être humain. Ainsi, nous ne sortons jamais indemne d'une pièce de théâtre ou d'un roman. Les effets peuvent mettre du temps à se faire sentir mais, même de manière imperceptible, ils sont bien là, à nous questionner finement.
Là où la reconstruction maxillo-faciale de Philippe Lançon est telle une mer déchaînée, la culture est un phare sur lequel il a sans doute pu s'appuyer pour garder le cap.

La parole écrite est aussi celle de la dichotomie de l'auteur depuis le jour de l'attentat. Il se sent mort parmi les vivants, vivant parmi les morts. Il pense à préparer sa carte Vitale alors qu'il sort d'un carnage. L'événement a vidé l'homme de sa substance. Pire, il l'a placé entre deux eaux:

« Cette contradiction, il faudra t'y faire, lecteur, car, depuis l'attentat, il est exceptionnel qu'en éprouvant ou en pensant à une chose je n'éprouve ou ne pense pas aussitôt la chose contraire ».

C'est cette lucidité, malgré le traumatisme enduré, qui permettra à Philippe Lançon de se maintenir aussi à flots. On peut être vidé et, justement, être prêt à se laisser inonder par une profonde remise en question afin d'en sortir par le haut. N'est-ce pas là une manière comme une autre d'entrer en catharsis après un effondrement personnel?

Au delà de ses préoccupations métaphysiques, la plume de l'auteur ne nous ménage pas son quotidien dans le milieu hospitalier. Une vie balancée entre le cocon protecteur qui entoure chacun des gestes du journaliste et la fragilité du même journaliste face à la chirurgie maxillo-faciale. Philippe Lançon reste un homme blessé au visage. On aurait tendance à l'oublier mais cette partie du corps est notre passeport pour autrui. Nous nous présentons aux autres avec notre visage. Un nez déformé ou, comme dans ce cas-ci, un menton détruit, et c'est notre identité toute entière qui se met à vaciller. le Lambeau est le récit de l'enchaînement des opérations chirurgicales afin de rendre à Philippe Lançon son visage – un nouveau visage.

Ce livre-témoignage est aussi celui du patient pris, bien malgré lui, dans les obligations de sa nouvelle condition: Être fort et courageux. le patient n'a pas d'autre choix que de l'être. Philippe Lançon écrit avec pudeur son état physique et ce n'est pas sans rappeler un autre récit. Celui de Jean-Dominique Bauby dans le Scaphandre et le Papillon. L'un a eu, pendant quelques-mois, une ardoise et un feutre pour seul moyen d'expression tandis que l'autre clignait des yeux afin de communiquer. La comparaison s'arrête peut-être là.

Enfin, comme le dit Chloé Bertolus, la chirurgienne de Philippe Lançon, le Lambeau est devenu un manifeste pour certaines personnes qui connaissent de près ou de loin le milieu hospitalier. Et le succès du récit tient, en partie, dans la relation particulière entre le chirurgien et le patient. Peut-être est-ce aussi ce dernier terme – patient – qui rend ce livre hors-norme. Rarement un auteur aura croqué, avec tant de réalisme, la patience dont doit faire preuve le patient quand il est hospitalisé.

Lien : https://lespetitesanalyses.c..
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Voilà un livre qui m'interpelle depuis sa sortie.
Pourtant, je n'avais pas envie de le lire.
Une razzia à la bibliothèque avant le second confinement, et hop, le voilà dans ma PAL.
Alors je l'ai lu, avec réticence.
Je n'en ai pas éprouvé de plaisir, loin de là.
Une immense compassion pour ce long calvaire hospitalier qui fut le résultat du massacre de Charlie.
Philippe Lançon a été touché, mais il s'en est sorti avec de multiples blessures, dont la mâchoire fracassée.
La reconstruction de cette mâchoire a duré plusieurs années.
Il nous raconte tous les faits, toutes les étapes de la reconstruction, toutes ses pensées, tous ses souvenirs….
C'est bouleversant, mais je ne me sens pas assez intime avec Philippe Lançon pour partager tout ça.
C'est trop pour moi.
Je me sens intruse dans sa vie, dans son intimité.
C'est tout à fait ce que je craignais.
Et pourtant je suis admirative de son courage, de sa pugnacité.
De plus, j'ai apprécié l'écriture, la précision, la sincérité, la lucidité…….
Malgré mes réticences, toutes personnelles, j'ai trouvé ce livre fort, puissant même, et plein d'espoir.
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"Je pleure sur ma vie perdue, je pleure sur ma vie future, je pleure sur ma vie obscure, mais vous ne me verrez pas pleurer." Page 417

N'attendons donc pas dans le lambeau d'y lire la complainte d'un homme qu'une pulsion meurtrière aura brisé. C'est le récit de quelqu'un qui veut échapper à la condition de victime, de quelqu'un qui voit en l'écriture le meilleur moyen de s'extraire de lui-même pour analyser, comprendre un événement hors du commun. C'est le récit d'une naissance. Celle d'un autre homme.

Ai-je contribué, en lisant son ouvrage, à la construction de ce nouveau personnage qu'est devenu Philippe Lançon depuis la tuerie de Charlie Hebdo? Car de re-construction il n'est pas question dans son propos. le Lambeau est un ouvrage entre deux vies. J'ai compris en avançant dans cette lecture que le dénommé Philippe Lançon, né cinquante ans plus tôt, devenu journaliste reporter, était mort avec ses amis de Charlie Hebdo. J'ai compris que celui qui en a réchappé ne sera plus jamais, sauf pour l'état-civil, ce Philippe Lançon-là, entré le 7 janvier 2015 avec l'insouciance du quotidien dans le local de la mort. La froideur administrative n'envisage pas qu'un homme puisse en devenir un autre, au point de se trouver mal lorsqu'après des mois d'hôpital il remet les pieds dans ce logement qui était son chez-lui. Comme un parent revient dans la chambre d'un enfant disparu.

J'ai hésité avant de le lire ce livre. Certain d'endurer à sa lecture le malaise que peut générer la vue des chairs déchirées, des os fracassés, des gestes médicaux pour recoller tout ça. Je n'ai, je l'avoue, pas beaucoup de courage pour être spectateur de la souffrance des autres. Je me suis pourtant laissé convaincre. Je ne le regrette pas. Car il est une chose que je n'ai pas trouvé dans cet ouvrage, c'est le désespoir et l'abandon. Ni la plainte, la colère ou la condamnation. Encore moins la soif de vengeance.

Le lambeau est un ouvrage écrit, entre autres intentions, pour saluer l'abnégation, l'amitié, l'amour, de ceux qui ont aidé son auteur à surmonter l'épreuve : le corps médical bien sûr, la famille, les amis, les policiers aussi qui l'ont protégé jour et nuit pendant des mois. Quant à ceux qui lui ont infligé cette épreuve, il ne dit rien. Il ne fait qu'un constat : "qui veut punir les hommes de leurs plaisirs et de leur sentiments au nom du bien qu'il croit porter, au nom d'un dieu, se croit autorisé à faire tout le mal possible pour y parvenir."

Philippe Lançon interpelle aussi son lecteur. Il ne lui épargne rien de tout ce qui pourrait le faire défaillir. Une manière de le mettre à l'épreuve et le convaincre que son propos n'est pas exhibitionniste, propre à satisfaire un voyeurisme mal venu. Une manière de le mettre en garde aussi, lui, moi, lecteur élevé dans le mirage du virtuel, gavé d'invraisemblances numériques et désormais convaincu d'invulnérabilité. Lecteur insouciant, sans doute plus encore qu'il ne l'était lui-même Philippe Lançon avant le 7 janvier, car son métier l'avait déjà impliqué à la souffrance humaine. Moi, comme les autres contemporains de ce siècle de certitudes, d'urgences, assénées à grands renfort de harcèlement médiatique. Convaincus de liberté par les exigences que nous dicte notre monde mercantile. Sûrs de notre bon droit quand nous revendiquons le confort, le plaisir, le refus de la douleur.

Lui, Philippe Lançon, a enduré. Au-delà du courage. Et quand le courage est dépassé il devient inconscience. Elle même maîtrisée devient leçon de vie. Il a tenu le coup, soutenu dans son parcours par ceux qui ont écrit, peint, mis en musique toute la palette des sentiments humains : Proust, Baudelaire, Kafka, Mann, Bach, Velasquez. Stimulé par ceux-là et tant d'autres qui avec la maîtrise de leur art ont dépassé la condition humaine. Quand tous les discours ont échoué à conjurer le tourment, que l'idée de la mort fait son chemin dans un corps qui suffoque et semble abandonner la partie, ne reste alors que la poésie pour s'extraire de ce corps devenu douleur. Baudelaire pour un dernier souffle :
"Ô Mort, vieux capitaine ! Il est temps ! Levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, Ô Mort ! Appareillons !
Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau !"

Le Lambeau est tout sauf le parcours événementiel d'un calvaire, d'une complainte, d'une rancoeur. C'est une leçon de vie. Et une vraie oeuvre littéraire.
C'est un livre entre deux mondes: celui de la légitime naïveté et celui de la noire réalité. le monde des gestes quotidiens auxquels on ne prête plus attention et celui de corps inertes baignant dans leur sang, d'un crâne duquel a jailli la cervelle.

C'est un livre entre deux dates : 7 janvier 2015, Charlie Hebdo. 13 novembre de la même année, le Bataclan. Ce n'est pas dévoiler l'épilogue que de dire qu'il se termine sur cet autre épisode funeste. On ne connaîtra pas la réaction de Philippe Lançon à cette nouvelle. Mais à la fermeture de son ouvrage on peut parier qu'en dépit de tout cela, il ne sera pas question de haine. de la stupéfaction, de l'incompréhension encore, mais pas de haine. Autre leçon de vie.
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