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Histoire de la merde" de
Dominique Laporte (1973)
Il est des rencontres fortuites de livres sur les rayons d'un bouquiniste qui réservent des surprises. D'autant plus si l'oeil baladeur est accroché par un titre aussi trivial que :
Histoire de la merde, dont l'auteur,
Dominique Laporte, essayiste, se pique de psychanalyse. La surprise, en ouvrant le livre, c'est que l'auteur y traite de la ville sous l'angle du déchet en établissant un parallèle osé entre le projet des poètes de la Pléiade d'épurer la langue et celui de
François Ier d'assainir la Capitale, avec à l'horizon de notre histoire nationale l'urbanisme hygiéniste du XIXe siècle.
Pierre Leroux, socialiste utopiste, y apparaît aujourd'hui comme un précurseur de l'économie circulaire agricole et de l'écologie industrielle, alors qu'en 1978, date de la publication du livre de
Dominique Laporte, ces concepts n'existaient même pas. Dans un temps, le nôtre, où l'urbanisme sensoriel est en vogue, la thèse avancée d'un retour sublimé du refoulé n'apparaît-elle pas prémonitoire ? Quoi qu'il en soit, il vaut la peine de s'y attarder.
Le projet de
Dominique Laporte de mettre en parallèle la langue et la ville sous l'aspect du déchet est, en effet,audacieux. Remontant à l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 qui a officialisé l'usage du Français et à un édit de la même année par lequel
François Ier a posé des prescriptions en vue de l'assainissement de la capitale, il apporte subtilement la démonstration d'une concomitance entre la volonté d'épuration de la langue de ses scories exprimée par les poètes de la Pléiade au XVIe siècle et la nouvelle obsession de propreté urbaine manifestée par le souverain (réminiscence du cloaca maxima de la Rome antique).
Aussi bien, la Renaissance constituerait en quelque sorte le stade anal de notre histoire nationale sevrée de latin, la langue mère des pays bordant la Méditerranée. « Si la ville s'épure de l'élimination de la fiente, l'excrément ne saurait toutefois, pour autant qu'il est celui de l'homme, engraisser la terre d'où viendront sourdre les écus sans qu'il soit d'abord passé au crible d'une alchimie purificatrice ». Ainsi en va-t-il de l'ambivalence qui affecte les déchets, détritus et autres déjections destinés par ailleurs à l'amendement des terres cultivables. le refoulement de la composante nauséabonde des déchets sera désormais à la mesure de leur utilité pour l'accroissement des subsistances. Au point de se muer en argent, lequel on le sait, n'a pas d'odeur. Bien plus, l'esthétique sera jointe à l'utilité : « l'élimination du déchet participe, nous dit l'auteur, dans la langue comme dans la ville, de la grande expérience de la vue que font les XVIe et XVIIe siècles […] ». Mais, « l'assomption de la vue ne se fera pas cependant sans la disqualification parallèle de l'odeur ». le XIXe, siècle par excellence de l'hygiénisme et de la mission civilisatrice de l'Occident, consacrera la transmutation de la fiente en or, miracle de la généralisation de la monnaie comme moyen d'échange et de thésaurisation. Equivoque de la notion de besoin : « il n'est pas indifférent que l'impératif de rentabilisation vienne à porter sur un besoin, et que ce besoin se trouve être celui de l'homme. »
Retour du refoulé ? sans doute ; sublimation de nos bas instincts ? peut-être : « Aussi l'idéal hygiéniste concevra-t-il l'idée d'une purification de l'excrément telle que soient assurées et la salubrité publique et les nécessités économiques ». Lequel idéal déteignit même sur des socialistes comme
Pierre Leroux, qui, anticipant sur l'écologie, inventera le concept de circulus ou cercle naturel, économie circulaire avant l'heure censée apporter la contradiction à Malthus et promouvoir la société d'abondance .
Si la beauté de la ville en ses monuments et son architecture n'a pas d'odeur, la laideur en ses décombres, la crasse négligemment laissée sur nos parcours a ses remugles incommodants, entêtants.