Citations sur Le Rapport de Brodeck, tome 1 : L'autre (49)
J'aime les questions et les chemins qu'elles nous font prendre. Les réponses sont sans importance, Brodeck, c'est arpenter le chemin qui est satisfaisant pour l'homme... Etre capable de dire: "J'ai avancé".
Je suis le seul innocent parmi tous. Le seul. En écrivant ces mots, je comprends soudain le danger que cela représente, d'être innocent au milieu des coupables... C'est, en somme, très proche d'être seul coupable parmi les innocents.
On ne comprend jamais rien, ou si peu... Les hommes sont paresseux, ils veulent se remplir l'estomac, boire, s'agiter entre les cuisses des femmes, dormir... Ils font la guerre quand on le leur demande et meurent avec la certitude imbécile que quelque chose les attend... Mais ils ne veulent pas comprendre, ils préfèrent éviter les maux de tête.
Le mystère, comme la différence, fait peur.
On m'a enfermé dans un camp si loin que je ne reconnaissais plus les arbres ni les oiseaux. J'y suis resté deux longues années. C'est là-bas qu'un vide profond s'est fait dans ma vie. Je le nomme Kazerskwir, "le cratère". Il est là, encore aujourd'hui. Pendant mon sommeil, je retourne sans fin sur ses bords, hébété, immobile. C'est au camp que je suis devenu "le chien Brodeck".
C'est très curieux, la sainteté. Lorsqu'on la rencontre, on la prend souvent pour de l'indifférence, de la moquerie, de l'arrogance, du mépris. On se trompe, on s'emporte, et on commet le pire. C'est ainsi que que les saints finissent toujours en martyrs.
Les hommes sont plus pervers que les pires bêtes sauvages… Ils commettent le pire si facilement, puis sont incapables de vivre avec la vérité de leurs actes !
Le cours d'une vie dépend de choses insignifiantes. Un sentier qu'on délaisse au profit d'un autre, un merle que l'on choisit de plomber ou d'épargne... un morceau de beurre...
Je suis celui dans le cerveau duquel ils déversent toutes leurs sanies, leurs ordures, pour s’alléger… Puis ils repartent, tout propres, prêts à recommencer à la première occasion.
Je suis l’égout, Brodeck.
Ils savent que l’égout ne parlera jamais de rien à personne… Ça leur permet de dormir tranquilles. Moi, je déborde sous le trop-plein, ça me pourrit l’espoir, leurs secrets… Je crèverai sous le fardeau dégueulasse qu’ils m’ont confié, c’est sûr… et ça me terrifie.
En relisant mon carnet, je vois que je file à travers les mots comme un gibier traqué. Je ne suis pas un conteur, je ne cesse d’aller de l’avant, de revenir, de sauter le fil du temps, de me perdre sur les côtés… Ce fatras, ce chaos, c’est ma vie.