En soupant lentement sous une treille brune
Dont les beaux muscats blancs luisaient au clair de lune,
Tandis que pour moi seul dans la nuit, un oiseau
Chantait vers le tilleul, je pensais à Rousseau...
Un soir divin et frais venait après l'orage.
Devant le banc de bois du rustique Ermitage,
Une jeune servante avait mis le couvert.
Quelques gouttes tombaient du feuillage plus vert.
Un vase sur la nappe était plein de pervenches,
Madame d'Epinay portait - c'était dimanche,
Son chapeau de bergère et son corsage ouvert.
Pure fraîcheur du soir ! On apportait la lampe,
Et Jean-jacques songeait, un doigt contre sa tempe.
La servante heurtait les plats dans la maison,
L'étoile du berger montait à l'horizon,
Et quand mourait au loin le bruit du char qui rentre
On entendait couler la source dans son antre
Et chanter la rainette et le grillon perdu.
Madame d'Epinay caressait son bras nu,
Rose et rond sur la table, et parfois son haleine
Dans son corsage creux enflait sa gorge pleine
Qu'une tremblante et tiède ligne séparait.
Un léger vent coulis qui passait murmurait
Dans les arbres du parc une plainte endormie,
Et Rousseau, souriant, regardait son amie,
En feuilletant, distrait, un petit livre gris,
A côté d'un panier plein de cerises blanches,
Un petit livre simple et sans or sur les tranches
Que Denis Diderot envoyait de Paris.
La Maison du Poète. ALBIN MICHEL
Homme de lettres, Léo Larguier (1878-1950) fut aussi l'ami des artistes. Proche de Paul Cézanne et biographe de plusieurs peintres paysagistes (Georges Michel, Camille Corot), il développa un goût pour l'art et la collection qui l'entraîna à fréquenter salles de ventes, antiquaires et autres brocantes.
Dans cet intrigant manuscrit, entré en 2021 dans les collections de la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art, Léo Larguier nous invite à le suivre dans sa traque, dans sa chasse, à l'objet rare et curieux. Au hasard du texte, il nous livre le fruit de ses trouvailles chinées chez les brocanteurs (dessins, aquarelles, peintures à l'huile), adroitement insérées entre les pages écrites et les illustrations originales du graveur Chas Laborde réalisées pour l'édition de 1922.
Par Isabelle Vazelle, INHA, chargée des autographes, manuscrits, dessins au service du patrimoine du Département de la bibliothèque et de la documentation, et Evanghelia Stead, universités UVSQ Paris-Saclay, professeur de littérature comparée et culture de l'imprimé
Cycle organisé par la BnF, l'INHA et l'École nationale des chartes.
En savoir plus : https://www.bnf.fr/fr/agenda/leo-larguier-lapres-midi-chez-lantiquaire-ou-le-manuel-de-lamateur-pauvre
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