Elle n'avait ni la richesse ni le rang pour être princesse, aussi désirait-elle ardemment acquérir l'instruction, pour s'en faire une gloire. Car elle était différente des autres, et ne devait pas être mise dans le même filet que le menu fretin. Le savoir était la seule distinction à laquelle elle pouvait prétendre.
Sa beauté, qui était celle d'un être sauvage, timide, frémissant de sensibilité, ne comptait pour rien à ses yeux. Son âme même, aux imaginations si puissantes, ne lui suffisait pas. Il lui fallait quelque chose qui renforçât son orgueil, parce qu'elle se sentait différente des autres. Elles regardait Paul avec un vague désir. En général, elle méprisait les hommes. Mais c'était là un nouvel échantillon vif, léger, gracieux ; il pouvait être doux, ou triste ; il était intelligent, savait des tas de choses, et la mort avait visité sa famille. Elle portait le jeune garçon aux nues, à cause de son pauvre petit bagage de science. Cependant elle essayait de le mépriser, parce qu'il ne saurait pas deviner la princesse sous la gardeuse de cochons. D'ailleurs, il faisait à peine attention à elle.
- Et vous êtes mineur ! s'écria-t-elle avec surprise.
- Oui. Je suis descendu dans le puits à dix ans.
Elle le regarda avec une consternation émerveillée.
- A dix ans ! Ce devait être dur ?
- Question d'habitude. On vit comme les souris et le soir on met le nez dehors pour voir ce qui se passe.
- Tu ne penses qu'au bien-être, mère, cria-t-il. C'est la doctrine des femmes sur la vie... la tranquillité et le confort physique. Je méprise ça.
- Ah vraiment ! répliqua sa mère. Et toi, tu éprouves un mécontentement divin ?
- Ça m'est égal que ce soit divin ou non. Mais au diable ton bonheur ! Pourvu que la vie soit féconde, peu importe qu'on soit heureux ou non. Ton bonheur m'assommerait, j'en ai peur.
Vivre au-dessus de la nature humaine, ce serait la perdre.
Il avait choisi sa mère. Elle était le fil le plus solide dans la trame de son existence. Quand il y réfléchissait, Miriam s'effaçait complètement. Elle n'avait qu'une réalité vague, irréelle. Seule comptait la réalité de sa mère. Le seul endroit au monde qui possédait substance et vérité était celui où se trouvait sa mère. Tout le reste pouvait bien s'obscurcir, disparaître. Mais elle, pas. Sa mère était le pivot, le pôle de son existence. Il était impossible de s'en désolidariser.
- [...] Un soldat ! un simple soldat ! Rien qu'un corps qui fait des mouvements quand il entend un cri ! c'est du beau !
Lorsqu'ils rentrèrent à travers champs, il dit :
-- Je suis content d'être revenu à vous. Je me sens si simple avec vous... comme s'il n'y avait rien à cacher. Nous serons heureux ?
-- Oui, murmura-t-elle, et les larmes montèrent à ses yeux.
-- Une sorte de perversité de nos âmes, dit-il, nous éloigne, nous détourne de la chose même que nous désirons. Il faut la combattre.
- Oui, dit-elle, frappée de stupeur.