« Les hommes ne feront plus rien, ils ont perdu la capacité d'agir, disait-elle. Ils font des embarras et parlent beaucoup, mais sont vraiment ineptes. Ils font tout rentrer dans une vieille idée périmée. L'amour est une idée inexistante pour eux. Ils ne viennent pas vers vous pour vous aimer, ils viennent avec une idée et ils se disent "Vous correspondez à mon idée" ; ainsi s'embrassent-ils eux-mêmes. Comme si j'étais l'idée de n'importe quel homme ! Comme si j'existais uniquement parce qu'un homme se fait une idée de moi ! Comme si j'avais l'intention d'être trahie par lui, de lui prêter mon corps comme un instrument pour expérimenter son idée, comme un simple appareil pour sa théorie périmée ! Mais ils font trop d'embarras pour agir : ils sont tous impotents, ils ne savent pas prendre une femme. Ils viennent trouver la manifestation de leur idée et la prennent. Ils sont semblables à des serpents qui essaieraient de s'avaler eux-mêmes parce qu'ils ont faim. »
ch. XII, p.362 (L'imaginaire Gallimard)
A quoi servait ce lieu, ce collège ? Quelle utilité avait la langue anglo-saxonne quand on ne l'apprenait que pour répondre aux examens, que pour acquérir une valeur commerciale plus élevée ? Ursula se sentait écœurée par cette longue servitude, dans ce sanctuaire du commerce. Mais qu'y avait-il d'autre ? Tout était avili pour le même usage. Tout allait à la production des choses vulgaires, à l'encombrement de la vie matérielle.
ch. XV, p.462 (L'imaginaire Gallimard)
« Nous ne sommes pas la nation. Quantité d'autres gens sont la nation.
- Ils pourraient dire aussi qu'ils ne sont pas la nation.
- Eh bien, si chacun disait ainsi, il n'y aurait pas de nation ; mais je serais encore moi-même, affirma-t-elle sur un ton brillant.
- Vous ne seriez pas vous-même, s'il n'y avait pas de nation.
- Pourquoi pas ?
- Parce que vous seriez la proie de n'importe qui et de tout le monde.
- Comment une proie ?
- On prendrait tout ce qui vous appartient.
- Eh bien, on ne pourrait pas prendre grand-chose, même dans ces conditions-là. Je ne me soucie pas de ce qu'on prendrait. J'aimerais mieux être enlevée par un brigand que de recevoir d'un millionnaire tout ce que l'on peut acheter avec l'argent.
- C'est parce que vous avez l'esprit romantique.
- Oui. Je veux être romantique. Je déteste les maisons qui ne bougent jamais et les gens qui ne font que vivre dans les maisons. Tout cela est si conventionnel et si stupide ! Je déteste les militaires, ils sont raides et en bois. Pourquoi voudriez-vous vous battre, réellement ?
- Je me battrais pour la patrie.
- Mais, pour tout cela, vous n'êtes pas la patrie. Que voudriez-vous faire par vous-même ?
- J'appartiens à la patrie et je dois faire mon devoir envers elle.
- Mais quand elle n'a pas spécialement besoin de vous - quand il n'y a pas de bataille ? Qu'aimeriez-vous faire alors ? »
Il fut irrité.
« Je ferais comme tout le monde.
– Quoi ?
- Rien. J'attendrais que l'on ait besoin de moi. »
ch. XI, p.327 (L'imaginaire Gallimard)