Dans la Brume écarlate a été publié en 2019 par les éditions Marabout. La version poche, publiée par les éditions le Livre de Poche, est parue en 2021. Je qualifierai le style de
Nicolas Lebel de caméléon, s'adaptant à son propos avec aisance. Haché, énergique, au vocabulaire pêchu, quand l'auteur s'insurge: "Quelques championnes du féminisme, à l'acmé de leur ferveur, avaient clamé qu'on pouvait "jouir d'un viol" et qu'"un homme sur deux ou trois était un agresseur". L'outrance du propos et le scandale médiatisé avaient porté un coup fatal au débat attendu, éteint le vent libérateur, étouffé ce "printemps des femmes". Et Vincent Demagny avait pu de nouveau tabasser sa femme." (Page 40)...Haché pour traduire la peur: "Lucie percuta un arbre surgi du brouillard, perdit une chaussure et tomba au sol, hébétée, s'empêtra un instant dans les ombres osseuses des ramures noires, se releva, reprit sa fuite aveugle, des larmes dans les yeux, traversa une ruelle en piaulant à l'aide, boitant sur son pied nu, trouva un hall d'immeuble, une porte fermée, des rangées de boutons d'interphone, lueurs dans la nuit, pressés du plat de sa main écorchée..."(Page 14). Ou plus fluide dans les passages narratifs consacrés à l'enquête.
Construction: chacune des quatre parties correspond à une journée précise, le récit se déroulant du dimanche 15 avril au mercredi 18 avril. Chaque chapitre indique l'heure à la minute près =>Contenu très structuré comme dans un compte-rendu de presse.
Thèmes: sujets d'actualité: la guerre en Syrie; le sort des réfugiés (tarifs pratiqués par les passeurs, camps insalubres); trafic d'êtres humains; violences faites aux femmes.
L'intrigue:
Un brouillard de poix enferme Paris dans ses serres acérées depuis quelques jours. Mehrlicht et son équipe sont appelés par le gardien du Père-Lachaise, célèbre cimetière parisien, qui a découvert dans une allée reculée une mare de sang sans cadavre. Comme si le corps qui avait perdu tout ce sang s'était évaporé...Ou alors caché quelque part dans le cimetière. Situation cocasse dans d'autres circonstances...
Madame Maturin déclare la disparition de sa fille Lucie, âgée de vingt et un ans. C'est alors que deux pêcheurs sortent des eaux putrides de la Seine le cadavre nu d'une jeune femme. Serait-ce celui de la jeune étudiante, Lucie?
Dès lors commence une enquête ardue dans laquelle le capitaine Mehrlicht devra se montrer particulièrement perspicace et inventif s'il veut arrêter au plus vite ce tueur qui sème des cadavres exsangues aux quatre coins de la capitale. Enquête rendue encore plus difficile par les conditions météo.
L'ambiance:
Le brouillard épais qui enveloppe la capitale française donne au roman son allure de film noir américain des années quarante. Avec en prime une enquête d'autant plus complexe à mener que l'on n'y voit pas à quinze mètres. Avouez que cela ne facilite pas les choses...Sauf pour le criminel, of course!! Mise en scène particulièrement évocatrice: "On distinguait à peine le groupe de copains qui les attendaient à une quinzaine de mètres. le brouillard était si épais qu'il estompait les détails, les traits des visages, ne concédant à l'oeil que des masses brutes et floues, des formes spectrales. Au-dessus des têtes, les lumières des réverbères se changeaient en boules de feu orangées et lointaines, soleils de minuit urbains qui déformaient les ombres arrachées à la nuit." (Page 12)...Dans le jour déclinant de cette fin d'après-midi, on voyait des silhouettes s'affairer dans les brumes grises, surgir soudain, puis disparaître. On se hélait ici et là, se repérait à la voix. Chacun semblait perdu dans ce grand vide blanc." (Page 241) => le thème du brouillard n'est certes pas nouveau mais de la mise en scène soignée de
Nicolas Lebel résulte un roman à l'atmosphère étouffante, angoissante.
En conclusion:
Dans la Brume Ecarlate, un bon polar bien ficelé avec tous les ingrédients indispensables: une atmosphère pesante à souhait, une enquête complexe, un enquêteur imbuvable mais diablement efficace, des portraits brossés à coups de pinceaux parfois tendres, parfois rageurs, un style énergique...Et, ce qui ne gâte rien, bien au contraire, de petits coups de pied dans la fourmilière bienvenus. Cela ne changera peut-être pas la donne, mais ça fait un bien fou...
Le +: discours positivement féministe, pas de fanatisme délétère, mais bienveillant et constructif. Juste histoire de remettre les pendules à l'heure: "Nouvelle recrue deux ans auparavant, Sophie Latour avait obéi aux ordres et accepté à contre-coeur les corvées de secrétariat que lui avaient réservées ses deux collègues mâles. C'est notoire: la femme a un talent naturel, un don génétique, pour la dactylo. Nombre de savants mâles l'ont confirmé. Mais un jour, la femme s'était révoltée. Depuis, chacun tapait ses rapports." (Page 49)...Et toc!!
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