[...] D’autres morts allaient survenir, Mehrlicht le savait. Il l’avait senti.
[...] Les murs étaient blancs, les rideaux étaient blancs, le cadavre était bleu.
[...] — Ils l’appelaient « la sorcière » parce qu’elle vivait toute seule dans les bois, indiqua la première.
— Ils venaient la voir en secret pour avoir des recettes, des onguents, des cataplasmes !
Ça, oui ! compléta la troisième.
Et ces cheveux mi-longs...etait-ce une coupe tolérable pour un représentant de l'ordre ? Et puis... il était fils de. Et puis... il avait interrompu son rite onirique ; aux yeux de Mehrlicht, il était cet improbable papoose qui refusait d'aller chercher la plume d'aigle en haut de la montagne, un scout qui récusait son animal-totem, un Pygmée qui regimbait à se faire scarifier le visage et tailler les dents en pointe...
Troizio, ton gars, je le connais pas. Mais je suis sûr que s'il avait des cheveux il serait célèbre !
Dossantos s'affala sur sa chaise, ahuri.
- Non, t'es sérieux, là ? Tu connais pas Bruce Willis ?
- Je devrais ? Il a écrit quoi ?
- Tu te rends compte ? Il ne connaît pas Bruce Willis...
Un monde s'effondrait autour de Dossantos. Merlicht le toisa.
- Bah non ! C'est qui ? Ton coiffeur ?
Latour pouffa de rire. Dossantos ne se démonta pas.
- Bruce Willis, quand même ! C'est Lepers qui se marrerait bien, tiens !
- T'as vue l'état de ta chambre ?
Jean-Luc soupira.
- Il est 4 heures du mat', et tu t'es réveillé pour me demander de ranger ma chambre ?
- Non, non, bien sûr. Mais là, ça sent la bête ! Tu fais pourrir quoi, au juste ? Tu veux créer de la vie ?
- Ce boulot me permet de croire qu'on peut arranger les choses, au contraire. C'est les hommes qui me débectent.
Parce que nous sommes tous d'indécrottables tarés, obnubilés par les fêlures et les caprices de nos nombrils.
A se demander si se dézinguer les uns les autres, c'est pas tout bonnement rendre service à l'espèce entière...
Aux murs pendaient quelques posters sombres à têtes de mort de groupes de metal qui , par décret de Mehrlicht Père , la fermaient après 22 heures .
Mehrlicht se figea. La question le cueillit comme un uppercut au menton, sec et définitif, le laissant un instant dans une sorte d’apesanteur, au point qu’il ne trouva aucun réponse sur le coup. Pourtant la question n’éveilla aucune douleur.
Amenez un homme à parler de lui et vous en ferez un homme heureux. Elle n’avait plus qu’à se montrer admirative de temps en temps et à lui poser des questions plus personnelles, en assurant ne pas vouloir l’embarrasser. Par orgueil, il répondrait à tout. Les hommes vivaient autour de leur nombril auquel ils vouaient un culte sans borne.