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Citations sur Enquêtes vénitiennes, tome 5 : L'arbalète du diable (7)

Mosca n’aima ni le sourire du secrétaire, ni celui du Chancelier. Il connaissait assez ce dernier pour deviner ce qui était à l’origine de son arrivée tardive et cette aura de légèreté joyeuse qui entourait sa figure souveraine le lui confirmait. Ainsi pendant que Dominus Aurelius faisait sa cour à Donna Borromeo, lui, Andrea Mosca, avait passé une matinée affreuse.
– Je vous écoute, Mosca, dit aimablement Aurelio.
– Domine Cancelliere, faire la police dans cette ville devient une tâche impossible, commença-t-il en soupirant largement.
– Allons ! Et pourquoi ?
– Je manque d’hommes, de barques, de fouets et même de corde. De tout ce qu’il faut pour maîtriser ces enragés qui passent la nuit à s’enivrer et se battent comme des chiens.
Comme Aurelio levait des épaules un peu lasses, le sbire avança la tête comme un dogue et commença à compter sur ses doigts :
– Le mois dernier, souvenez-vous, on a mis aux pozzi un boucher qui avait poignardé à mort un valet qui lui reprochait le prix de sa viande.
– Je me souviens. Les Vénitiens ont le sang chaud. Mais on a pendu le coupable, n’est-ce pas ?
– Heureusement ! C’était un colosse armé d’un couteau, pire qu’un gladiateur romain ou un barbare des hordes d’Attila. Il m’avait fallu quatre hommes pour le maîtriser. Deux ont même été blessés.
– Ils se remettront, dit Aurelio avec insouciance.
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L’endroit était un grenier sous les tuiles, très semblable à tous les greniers et d’aspect totalement abandonné. Des penderies de poussière s’accrochaient aux poutres, le mur laissait voir sa brique crue blanchie de salpêtre. Des grattements précipités venant de coins invisibles attestaient la présence animale ordinaire des greniers et lorsqu’un rat vint lui flairer les pieds, le garçon se contenta de l’écarter d’un mouvement de cheville. Ce qu’il cherchait, c’était une issue. Il craignait de ne trouver qu’une trappe devant s’ouvrir par-dessous. Au bout d’une inspection circulaire, il fut trop heureux de trouver, dans un large trou du plancher, une sorte de cage d’escalier rudimentaire et d’une étroitesse singulière, d’une raideur et d’une profondeur telle que sa lampe en révélait à peine l’extrémité. On aurait dit un puits dont les parois étaient le mur et une cloison de bois, mais au fond duquel il sembla voir une porte. Tout cela avait un parfum excitant de passage secret et ne devait mener qu’en des lieux où, en des temps plus troublés, il était bon de se réserver des moyens de fuite.
Le garçon entreprit de descendre l’échelle, les coudes frôlant les deux parois.
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Elle avait la tenue classique des porteuses d’eau : nus pieds, afin de ne point glisser sur la mousse accumulée autour des pierres, grand jupon bleu dont un pan était joliment ramené sous la ceinture afin de ne point s’éclabousser en versant l’eau, haut chapeau d’homme sur ses cheveux ramenés en chignon. Elle avait posé à terre son bigolo, perche à chaque bout de laquelle s’accrocherait un récipient de cuivre. L’un des deux, débordant d’eau claire attendait sur la margelle et elle s’empressait de ramener la corde du second, quand une voix, dans son dos, la fit sursauter :
– Laisse pas traîner la corde dans l’eau, Galinetta, t’auras les mains molles, ce soir.
La voix était féminine, jeune, marquée du fort accent de la Dalmatie. Avec cet air d’autorité et le geste sûr que donne la routine, la Dalmate posa sur la mousse sa longue perche et entreprit de détacher ses seaux vides, l’un après l’autre, tout en dévisageant la maladroite comme on observerait un enfant pataugeant dans la crotte.
– T’es nouvelle, toi, affirma-t-elle.
Et, sans attendre de réponse :
– Tu viens d’où ?
– Pago.
En réalité, la question était superflue : les porteuses d’eau de Venise venaient presque toutes de Pago, comme les fermières venaient du Frioul. Par une sorte de filière, certaines terres vénitiennes étaient les pourvoyeuses presque exclusives de certains métiers. Les jeunes filles de Pago venaient gagner à Venise de quoi se faire une dot avant de s’en retourner dans leur île pour se marier.
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Nicolò Aurelio, en chemise devant la fenêtre largement ouverte de sa chambre, s’étire sans retenue, baille bruyamment, se gave de l’air frais du matin, se délecte de la vue charmante qu’il a sur le parc du palais Mocenigo. Un miroitement d’eau, à travers une saulaie, les lauriers roses offrant leurs derniers bouquets, les cyprès tout crépitants de petits oiseaux verts et jaunes, et plus près de lui, une toile d’araignée lourde de rosée, avec ses guirlandes de perles scintillantes accrochées à la vigne vierge. Il est de ceux qui jubilent devant la beauté des choses. En esthète, il savoure ces instants précieux où la nature, éprouvée par les chaleurs de l’été, se réveille, reposée par la nuit fraîche, nouvelle à chaque matin.
Les mains posées sur le rebord de la fenêtre, il savoure cette naissance du jour, hume les parfums de la terre, ferme à demi ses yeux gris clair qui souvent percent au lieu d’effleurer. Il offre son visage à la lumière nouvelle. Un beau visage d’homme approchant la cinquantaine, cheveux châtain coupés courts et laissant voir aux tempes et dans le mince collier de barbe les fils blancs d’une élégante maturité. Il prolonge cet instant de grâce, laisse batifoler ses pensées.
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Maestro Balista recula sa chaise, étudia la grille. Des chiffres et une construction géométrique se superposaient dans sa tête. Du bout de sa canne, il dessina le tout sur le sable, en murmurant les chiffres.
Le vent ramenait de loin des bruits de détonations, des éclats de voix, trouant la rumeur continue de la mer qui mugissait en sourdine. Les mouettes, dans l’air pur, planaient avec des cris stridents. Mosca attendait. Enfin, Maestro Balista se tourna vers sa porte restée ouverte derrière laquelle dormait sa collection d’arbalètes. Il semblait les interroger une à une, entendre leurs protestations, leurs sarcasmes et leur ricanement général car il se mit à rire aussi.
– Messer Mosca, cette arbalète-là, je suis au désespoir de vous le dire, mais je crois qu’elle n’existe que dans l’imagination d’un conteur.
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Quand les trois sbiri eurent tourné le coin, ils ne virent d’abord qu’un vieil homme assis sur un billot de bois. Leur pas cadencé fit lever au vieillard des yeux aveugles sans que nulle parole ne sortît de sa barbe hirsute. Il ressemblait à ces statues de pierre qui ornent parfois les tombeaux. Statue muette, il ne devait contempler la vie que par le biais de ses émanations sonores, car plus loin se chevauchaient les échos de l’animation des calli. Dans le rioterrà Sant’Aponal comme ailleurs, l’activité débordait jusque sur la glaise de la rue dans un entassement bruyant, un coude-à-coude clabaudeur, exubérant, généreux.
L’arrivée des trois sbiri habillés de noir y fit l’effet du chat introduit dans une volière. Les voix se turent, les enfants se réfugièrent dans les jupons des mères, un jeune sabotier rassembla prestement les copeaux de bois éparpillés autour de son ouvrage. On eût dit le passage d’un cortège funèbre au point que le sabotier ôta son bonnet. Mosca s’avançait sans rien voir. Ses insignes l’isolaient de ses semblables, le jetait dans la peau d’un notable.
Les trois hommes marchèrent ainsi jusqu’au bout de la calle, là où le chemin de terre battue faisait un coude avant de s’arrêter brutalement sur le rio. En se penchant un peu sur l’eau glauque, on pouvait apercevoir de biais les belles fenêtres lancéolées d’un petit palais flanqué d’un jardinet que l’on devinait derrière un mur. La dernière maison de la calle occultait le reste. C’est là que Mosca s’arrêta.
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La jeune femme n’avait pas quitté sa place dans la bibliothèque. Elle était mollement adossée aux coussins, pensive, balançant au bout de son pied nu une mule rouge. Elle n’avait pas quitté son déshabillé blanc et semblait poser pour le personnage de l’ange pensif assis au pied d’une stèle de pierre un matin de Pâques. Et Santoni, bien qu’il ne fût pas peintre, y vit une image divine. Il se précipita vers elle et mit un genou en terre pour lui baiser la main.
Laura, se raidit un peu, dosa son sourire. Santoni était bel homme. Cheveux et barbiche noire à la mode d’alors, il levait vers son idole ses yeux sombres qui laissaient voir bien plus que n’exprimaient ses paroles de circonstance. Elle était habituée aux hommages et lisait à livre ouvert dans les regards comme celui-ci. Elle appréciait la présence du Capitaine parce qu’elle le sentait honnête, sans détours, un de ces hommes faits d’un bloc et n’ayant qu’une parole, une fois donnée leur amitié. Enfin, elle était femme. Depuis leur commune aventure de Padoue, il était assez attaché à elle pour qu’elle puisse s’en faire entendre et lui imposer des actes. Mais pour l’heure, elle devait briser son élan, lui parlant de sa voix douce et ferme :
– Capitaine Santoni, c’est mal, de ma part, de vous extraire de votre devoir ou de votre repos pour une affaire qui ne me concerne pas, mais que j’ai jugé urgent de résoudre. Merci d’accourir, alors que d’autres tâches vous attendent.
– Parlez, Signora, je serai toujours à vos ordres.
– Non, Capitaine, vous n’êtes plus à mes ordres, mais vous jugerez vous-même si j’ai bien fait de vous appeler. Je vous prie de vous asseoir, d’abord.
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