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Critique de jeranjou


Un Lehane beaucoup plus noir, intense et bouleversant que son adaptation au cinéma

Dépêché à la dernière minute, j'accepte ma fonction d'avocat commis d'office pour défendre l'auteur et écrivain Dennis Lehane. Suite à une critique de Mystic River touchant au plus profond l'âme des accros inconditionnels de l'écrivain américain, je me dois de sauver le soldat Lehane de cette qualification de simple "scénariste" de film.

Quel meilleur contre-exemple que « Gone, Baby Gone », justement adapté au cinéma, pour démontrer la simple coïncidence au moment des faits? En effet, ce quatrième roman de Lehane avec les héros Patrick et Angela, prolonge cette série d'enquêtes atypiques, pleines d'humour et parfois violentes je peux le convenir, votre honneur.

Par rapport aux épisodes précédents, l'auteur nous plonge ici dans un univers encore plus bouleversant et déstabilisant, l'enfance, qu'un film, même bien adapté, ne réussira jamais à nous procurer. Mais votre honneur, vous ne savez peut-être pas qu'avant d'être romancier, mon client a été chauffeur livreur, libraire, puis surtout éducateur dans le domaine de l'enfance maltraitée! Je comprends que certains lecteurs refusent d'aller aussi loin dans la déchéance humaine et des dégâts collatéraux qu'ils peuvent engendrer aux enfants.

Très récemment, j'avais d'ailleurs classé cet ouvrage dans la catégorie « chocolat noir » comme l'est également "Ténèbres, prenez-moi la main" par opposition aux romans chocolat blanc, très fleur bleue, dont raffole le grand public. Dans le monde Bostonien de Lehane, les héros de ses romans n'incarnent pas le bien absolu et à l'inverse, les présumés coupables n'incarnent pas le mal absolu non plus.

Dans cet opus, Pat et Angie, doivent retrouver une fille de quatre ans, Amanda McCready, dont la mère, Hélène, alcoolique et droguée, l'a laissée seule le soir de sa disparition, pour aller boire un coup dans un bar. Heureusement, quelques membres de sa famille, Beatrice et Lionel, sont présents pour soutenir Hélène, ne comprenant pas bien ce qui arrive.

La première piste va les conduire à un Cheddar Olamon, dealer entre autres, dont la mère d'Amanda a extorqué deux cent mille dollars. Puis la suite de l'enquête va mener Pat et Angie vers des chemins bien difficiles à prendre… surtout pour notre duo au caractère bien trempé.

Cet épisode m'a paru beaucoup plus violent que les autres, psychologiquement parlant car il se focalise sur des conditions de vie épouvantables, notamment pour les enfants. La description des personnages et des lieux est sans complaisance et non édulcorée comme on peut le lire dans les romans classiques. Porté à l'écran, le film est beaucoup plus abordable que le livre même si j'ai bien apprécié le film tout de même. Un dimanche soir, en écoutant "Le masque et la plume", le but était de critiquer ouvertement l'adaptation du roman de Lehane, porté à l'écran par Ben Affleck avec Casey Affleck et Morgan Freeman. J'étais offusqué par ce contre-sens total sur Dennis Lehane dans l'émission de Jérôme Garcin. Les critiques de cinéma n'avaient manifestement jamais lu Lehane et ne connaissaient en rien son univers noir, très noir, bien loin des tabous que les bien-pensants érigent en barrière. Je pense justement qu'ils ne connaissaient que le film « Shutter Island » de Martin Scorsese

Pour conclure… Non, Lehane n'est pas un simple scénariste même si le gratin des réalisateurs, Eastwood et Scorsese entre autres, a craqué sur ses romans. Ce n'est tout de même pas de sa faute si les meilleurs réalisateurs au monde s'attaquent à ses films ! Pour contredire cette thèse, madame et messieurs les jurés, la lecture de « Gone, baby, gone », difficile à appréhender et des plus perturbantes, est impossible à retranscrire correctement en un film. Les émotions suscitées, l'imagination du lecteur et la prise de conscience en tant que père ou mère de famille, sont infiniment plus développées à la lecture du roman qu'au visionnage du film, je dirai même plus à des années lumières du film de Ben Affleck.

Pour tous ceux qui se sont arrêtés à Mystic River ou Shutter Island, peut-être grâce (ou à cause) des films, ne manquez pas Gone, baby, gone, qui se termine par une chute aussi inattendue que bouleversante, un véritable cas de conscience. Chacun pourra alors se faire sa propre opinion sur le sujet…

Autant dire pour moi que Lehane reste un des tous meilleurs auteurs de «polars », avec son univers bien à lui, une très bonne intrigue à chaque fois, des dialogues bien maitrisés et rythmés, qui plus est avec une tonne d'humour en supplément. Mais ce n'est qu'un homme, capable de trébucher parfois, comme le démontre Moonlight Mile, la suite logique de ce roman, très en dessous de « Gone, baby, gone » malheureusement.

A la fin de cette plaidoirie, j'espère, amis lecteurs, que sera réhabilité l'écrivain Lehane dans toute sa dimension. le monde du 7ième art, c'est une chose, le monde des livres, dit aussi 5ième art, en est une autre. Comme le dit le proverbe, « Chacun son métier, les vaches seront bien gardées »!
Jugez en votre âme et conscience. Et surtout, très bonne lecture…

PS : Cette plaidoirie ne m'empêche pas de penser que l'adaptation de Scorsese sur Shutter Island réussit totalement à retranscrire l'atmosphère du roman de Lehane, qui n'est pas le meilleur selon moi. Mais, vous comprendrez que je ne peux pas concéder cet aveu devant le juge en tant qu'avocat à la cour.
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