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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Livre simple et beau. Il y est question du suicide d'un homme jeune (25 ans) dont la vie a été rétrospectivement "avalée" aux yeux de ses proches par cet acte ultime. Le point de vue est, non celui du suicidé lui-même, qui n'a laissé aucune lettre, aucune explication, mais celui de ses proches. Ses proches qui ont gardé de lui l'image d'un être un peu austère, silencieux, musicien, qui se serait suicidé, non par désespoir, mais pour "explorer en tant que vivant l'expérience de la mort". Ce qui est naturellement impossible.
J'ai ressenti de la fulgurance dans ce témoignage (c'en est un puisque l'auteur a mis fin à ses jours dès qu'il eût terminé cet écrit) mise en valeur par des phrases courtes et musclées, réduites au seul nécessaire.
Ce livre peut avoir des détracteurs, des "amis de la vie" un peu moralisateurs. Je préfère saluer sa force singulière et déclarer avec l'auteur :
"Naître m'advint
Vivre m'occupe
Mourir m'achève"
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«La scène s'arrête là » (p.9)

Edouard Levé s'est donné la mort le lundi 15 octobre 2007, à l'âge de quarante-deux ans. Trois jours avant, il avait déposé un manuscrit chez P.O.L., où il retraçait le parcours d'un ami d'enfance, ayant lui-même mis fin à ses jours. Dénué de pathos, l'ouvrage suscitera l'émoi de quelques critiques. Toutefois, Suicide ne constitue ni une autobiographie, ni un roman psychologique, et encore moins un quelconque testament. le lecteur soucieux de classification parlera éventuellement de portrait. Levé s'adresse à son ami décédé à la deuxième personne du singulier, et lui raconte son suicide par balles, puis sa propre vie, dépeint ses traits de caractère, ses singularités, dans un style à la fois sobre et classique, photographique[1]. le livre, qui commence par la description d'un acte pour le moins énigmatique, sinon incompréhensible, s'achève par une série de tercets, retrouvés dans le bureau du défunt par sa femme : « le bonheur me précède / La tristesse me suit / La mort m'attend » (p. 124).

« Savais-tu pourquoi tu voulais mourir ? » (p. 108)

Sur une centaine de pages, Levé évoque différents moments de la brève existence de son ami. Aucun jugement moral et/ou explication psychologique simpliste ne sont donnés. L'auteur-spectateur, se contente de narrer, de fixer des instants, de prendre des instantanés… Son absence de deuil, son objectivité, sont, à cet égard, significatives : « Je ne souffre pas en repensant à toi. Tu ne me manques pas » (p.108). Et à la fin l'énigme n'est pas dissipée : « Peut être as-tu voulu préserver le mystère autour de ta mort, en pensant que rien ne devait être expliqué » (id.).

Quelques hypothèses, ou éléments de réponse, se présentent néanmoins au fil du récit. le premier tient évidemment au mal être du personnage, voire à ses troubles mentaux. Hormis un étrange moment de joie pure, au cours d'un barbecue, Levé ne décrit que des phases de dépression, accompagnées d'un traitement psychiatrique inefficace. Après un véritable effondrement moral, le personnage connaît une bouffée délirante, confusionnelle. S'y ajoute un sentiment d'étrangeté au monde, et même un phénomène de dépersonnalisation : « Tu passais d'une pièce à l'autre. Tu croisas un miroir (…). Tu reconnus ta physionomie, mais elle te parut être celle de quelqu'un d'autre » (p. 88). le suicide apparaît ainsi comme un geste impulsif, incohérent, un coup de folie, ou de sang, si l'on préfère. L'acte fait d'ailleurs l'objet d'une mise en scène macabre, et pour le moins bizarre, puisque le héros se tire une balle dans la tête au-dessus d'une bande dessinée, ce qui suscite évidemment des interrogations de la part de ses parents. Coupé de lui-même, le jeune homme est également coupé du monde, et coupé d'une famille à laquelle il se sent une nouvelle fois « étranger » (p.96).

La source de cette inadaptation fondamentale n'est pas révélée. Plusieurs pistes nous sont toutefois données. le personnage ne semble pas, a priori, à plaindre, sur le plan professionnel et financier. Il s'agit d'un individu intégré : « Tu n'étais pas solitaire, pauvre, alcoolique, abandonné (…). Tu ne manquais pas d'argent » (p.77). Cela ne tient pas à une cause physique, physiologique, un problème cérébral, chimique. L'enfance, et les relations familiales pourraient en revanche expliquer quelque chose. L'agressivité du père est brièvement évoquée, lors de l'enterrement. Levé paraît ainsi penser que le suicide serait une sorte de violence héritée, mais dirigée contre soi même (ce qui constitue un phénomène psychologique connu et avéré) : « Tu t'es réservé une violence que tu n'eus pas pour les autres ». (p 64). de même, le jeune homme craint d'avoir déçu ses parents, déçu leurs attentes : « Tu te sentais un imposteur, car tu savais (…) tu n'aurais jamais ressemblé aux rêves qu'ils [tes parents] avaient faits » (p. 107).

On peut aussi imputer ce geste ultime à l'anomie, sentiment de non-appartenance au monde et de non-sens social, décrit par Durkheim[2], et qui ressurgit plusieurs fois dans le récit. le héros se demande parfois ce qu'il fait sur Terre, quel est son rôle exact, tout en « donnant le change » à ses proches, comme une sorte de « comédien » (p.43) tragique. A plusieurs reprises, Levé parle également de la peur de la décrépitude propre au personnage, notamment lorsqu'il croise un clochard dans le métro. Cette crainte de la déchéance, de la vieillesse, expliquerait ce désir de partir vite, et jeune. Effrayé et fasciné par la mort, le héros négatif va devancer la fin qui le guette, l'effraie et l'obsède. Levé parle ainsi de la visite nocturne d'un cimetière, ou encore de l'angoisse qui saisit son ami, au moment d'une interrogation orale d'entrée dans une grande école, et dont le thème est justement la mort, et le sens qu'elle prend dans le champ philosophique…

Ce faisant, ce départ prématuré apparaît chargé d'une portée artistique. La vie inaccomplie, absurdement achevée, devient une nouvelle source d'hypothèses, de construction, un singulier roman aux possibilités infinies: « Tu es un livre qui me parle quand je veux. Ta mort a écrit ta vie » (p. 14). Pour autant, Levé ne fait nullement l'apologie de cet acte douloureux. Il évoque ainsi la souffrance de la mère, à la fin du récit, et l'« égoïsme » du personnage (p.109).

Une oeuvre littéraire

Depuis la période romantique, nombre de poètes, parmi lesquels Goethe, ou Vigny, ont écrit sur le suicide. Certains, tel Nerval ou Maïakovski, sont, hélas, passés à l'acte. Peu d'écrivains ont, en revanche, évoqué leur propre décision, leur propre choix. Parmi eux, Stig Dagerman, romancier anarchiste suédois, a parlé de sa difficulté à vivre et à trouver un sens dans un texte très court, superbe, écrit deux ans avant sa disparition[3]. Citons également le métier de vivre, journal intime de Cesare Pavese[4]. de tels écrits font cependant figures d'exception: condamné par l'Eglise comme par la morale sociale, la mort volontaire, qui constitue actuellement l'une des premières causes de décès en France, fait encore l'objet d'un tabou, d'une réprobation morale, ou, à l'inverse, d'une sorte de fascination morbide. Sur ce plan précis comme sur tant d'autres, la littérature n'est pas détachée du monde réel. A ce titre, le livre d'Edouard Levé prend quasiment valeur d'étude. Il semble impossible de déterminer dans quelle mesure l'auteur s'est inspiré de sa propre existence, de ses propres difficultés et obsessions. Néanmoins il s'agit d'une sorte de témoignage, et, pour une part, d'une lettre d'adieu.

Plus qu'un simple ouvrage documentaire, Suicide constitue également, et peut être d'abord, un texte littéraire, au sens fort du terme. Levé ne se perd pas effectivement en considérations psychologiques, sociologiques ou morales oiseuses, même s'il cherche à comprendre. Plusieurs pistes nous sont données. En ce sens, Suicide est bel et bien ce qu'Umberto Eco appelle une « oeuvre ouverte [5]», polysémique, et où le lecteur doit lui-même chercher un sens pluriel. En outre l'écriture de Levé n'a rien du style plat et ennuyeux propre aux essais de sciences humaines ou aux récits de vie. « En poésie, je n'aime pas le travail sur la langue (…). Je rêve d'une écriture blanche, mais elle n'existe pas » déclare-t-il dans Autoportrait[6]. Parfois lyrique, mais toujours sobre, la plume de l'auteur garde toujours ce « sens du classicisme » qu'évoque Jacques Morice, au lendemain de son enterrement[7]. de fait, l'écrivain exprime parfaitement le caractère cruel et angoissant du suicide, avec pudeur et lucidité.

[1] Edouard Levé a publié trois albums de photographie aux éditions Philéas Fogg et P.O.L.

[2] le Suicide, 1897.

[3] Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, 1952.

[4] Il mestiere de vivere, publié à titre posthume en 1952.

[5] L'oeuvre ouverte, 1963.

[6] p. 60, P.O.L., 2005.

[7] Télérama n°2888, 22 octobre 2007.

Un article d'Etienne Ruhaud paru dans "Diérèse" 46 (automne 2009)
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J'ai découvert ce livre grâce aux lecteurs de Babélio.

Le narrateur s'adresse directement à l'ami suicidé, il lui parle avec simplicité, relate les quelques faits et gestes connus de sa courte vie passée. Il n'y a pas de morbidité mais une tristesse lancinante qui nous donne envie de vivre.

On ne comprend pas pourquoi l'auteur s'est suicidé à son tour...
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« Suicide. »
Être saisie par ce titre effrayant. Puis faire confiance, oser et découvrir un texte inouï et inoubliable.
Un texte rempli d'instants et de sensations ; parce qu'il serait vain d'expliquer la mort alors mieux vaut raconter la vie.

Dans « Suicide », un narrateur s'adresse à son ami qui a mis fin à ses jours. Au fil de ses souvenirs, il dresse son portrait et décrit ce qu'a été la vie de cet homme. Il se remémore sa façon d'être, d'agir, de penser. Il retrace ses obsessions, ses habitudes, ses errances.

Il ne tente surtout pas de comprendre le passage à l'acte : « Expliquer ton suicide ? Personne ne s'y est risqué.» Il sait bien que, même si les tentatives d'explications sont inéluctables, elles restent vaines - « Les gens qui te survivent se sont interrogés, ils n'auront pas de réponse à ces questions. » Mais « y-a-t-il de bonnes raisons de se suicider ?» pose-t-il. La seule conclusion possible serait peut-être « mais dans la balance, l'accalmie de ta mort l'emporta sur l'agitation douloureuse de ta vie. »

Au travers d'innombrables détails, le narrateur approche la façon de vivre de son ami. Il dessine la vacuité et parfois l'absurdité de son existence et avance pas à pas vers ce qui restera à jamais une hypothèse : « Un jour tu t'es destiné la violence donc tu avais hérité. (…) Tu t'es destiné une violence que tu n'eus pas pour les autres, à qui tu réservais toute ta patience et ta tolérance. »

Enfin et surtout, la 4ème de couverture nous apprend qu'«Édouard Levé s'est suicidé dix jours après avoir remis son manuscrit à son éditeur ». Il avait 42 ans.
L'auteur et le narrateur se confondraient-ils ? Édouard Levé parlerait-il de lui-même dans ce livre et de sa mort qu'il préméditait ? Là encore, il nous faut accueillir l'absence de réponse et ressentir l'effroi devant cette mise en abyme bouleversante.
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Parfois, il y a des livres qui nous touchent plus que d'autres, des livres qui entrent dans notre vie au hasard, sans trop connaître la raison, une couverture qui nous appelle, une recherche sur internet. Mon plus bel hasard, c'est lui. Une oeuvre d'art méconnue, peut-être redoutée.

Si le thème principal repose sur le suicide, c'est toute l'existence qui y est décortiquée. La frontière entre les joies et les peines devient poreuse. Elles ne font plus qu'une, subtilement mélangées, imbriquées, alimentées par une plume délicate et pudique.

Bien loin des sentiments larmoyants, c'est un texte d'un réalisme époustouflant et d'un calme déconcertant. Tout en subtilité, ce livre convoque des sentiments éloignés du suicide. On le referme bercé par une douceur réconfortante, une quiétude apaisante.

En lisant ce texte, vous comprendrez qu'en formidable écrivain, Édouard Levé dépeint le sentiment du suicide avec une justesse déroutante. Pourtant ce texte, il faut le lire à l'aune de son geste, car dix jours après avoir remis son manuscrit, Édouard Levé s'est suicidé.

@lecturesauhasard
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Rien n'est expliqué, pourtant tout est dit. On effleure des éléments de motivation, mais on sait que ce n'est pas ça. On reste à la surface car c'est justement ce vide qui prend relief par contraste. Cette douleur insondable qui ne saurait être confondu avec de la tristesse, le personnage principal va essayer de la traiter, même médicalement.
Camus disait que "juger que la vie vaut ou non la peine d'être vécue, c'est répondre au problème fondamental de la philosophie" et il répondait à cette question par une pirouette intellectuelle. Chez Levé, ni philosophie ni acrobatie. Pas de réponse non plus : l'illustration du choix mortel qui a été fait n'est que cela, une illustration d'un choix possible, sans prétention et sans justification. Dans le Mythe de Sisyphe, Camus nuançait par avance et très justement son propos : "Il y a beaucoup de causes à un suicide et d'une façon générale les plus apparentes n'ont pas été les plus efficaces. On se suicide rarement par réflexion."
Je crois que Suicide est un livre d'utilité publique : pour les premiers concernés, au contraire de leur insuffler des idées noires, il agira comme catharsis ; pour leur entourage, il fournira un parcours type, et un éclairage sur l'état d'esprit. Les autres lecteurs y trouveront simplement une des oeuvres littéraires les plus uniques qui existent et entrent en résonance avec d'autres oeuvres.
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Un livre vraiment fort et touchant surtout quand on sait que l'auteur s'est suicidé quelques jours après avoir remis son manuscrit.

C'est très intime et j'ai ressentis toutes les émotions qu'a transmis Edouard Levé, il rappel de moments de joie, imagine la douleur de la femme de son ami quand elle l'a vu mort, cherche des réponses dans son geste savamment calculé. Une aide pour surmonter la perte d'un proche qui a aussi choisi son heure.

Le genre de livre dont on se souvient.
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J'ai découvert ce livre grâce au Cercle Littéraire, une émission télévisée.
Je n'ai pas été déçue, ce livre est un chef d'oeuvre: le narrateur écrit un hommage poignant à un ami qui s'est suicidé.
L'auteur s'est suicidé une semaine après avoir délivré son manuscrit à son éditeur. On peut penser que son livre illustre son geste, ou bien est-ce son geste qui illustre le livre?
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Je ne vais pas m'étaler, mais ce livre fut une révélation pour moi. L'impression d'avoir trouvé en Levé mon âme jumelle. Ce livre est le plus beau que j'ai le depuis longtemps. Tout en lui est parfait, chaque phrase, dans sa prétendue simplicité, est d'une profondeur magnifique et inquiétante. Ce livre est un chef-d'oeuvre et une perfection. Au revoir, Édouard, quelle tristesse que tu me fais.
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«Suicide» un titre qui fais froid dans le dos mais qui est adouci par la plume d'Édouard Levé. de manière poétique il nous fais la biographie de son ami qui s'est suicidé à l'âge de 25ans. On découvre alors une personne qui à l'air heureuse, il a une femme, des amis, une famille qui l'aime, des passions comme la musique et une forte imagination. Pourtant au fond de lui il est malheureux, il se sent étranger à lui même et à ce qui l'entoure...il a comme l'impression qu'il n'a plus rien à faire ici bas.
Vous savez, généralement lorsqu'on entend parler de suicide, la première question qui nous vient en tête c'est: "Pourquoi ?", parce qu'il est difficile d'accepter une mort sans raison pertinente. Et si l'on se demandais pas ? Et si on acceptait juste l'acte ?
C'est le message que l'auteur a tenté de faire passer.
Je ne dirais pas que ce récit est la lettre de suicide de l'auteur mais je dirais que c'est sa manière de nous faire accepter la mort comme on accepte la vie. Parce qu'il y'a un temps pour vivre et un temps pour partir...et ça peut importe la manière dont c'est fait.
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