Pour services rendus

Le seul homme honnête dans tout ce bordel s'excuse d'être honnête. Fremantle ne peut pas s'empêcher de rire de l'absurdité de la situation.

Mais Wilson Drake peut gagner. Je l'ai su à la minute où je l'ai vu dans une réunion de collecte de fonds. Il garde sa bite dans son pantalon, il est capable de se tenir, il est beau mais pas trop et il ne vocifère pas.

"Disons que je vous annonce que j'ai un candidat qui a eu une douzaine de liaisons, qui n'arrête pas de tromper sa femme et qui a un casier judiciaire chargé. Quatre ou cinq arrestations pour infraction au code de la route et comportement agressif. Vous voteriez pour ce type ?"
Fremantle regarde Billy d'un air perplexe, ne sachant pas trop dans quoi il est embarqué.
"Non, naturellement, vous ne le feriez pas si vous êtes un électeur américain typique. Et maintenant, j'ai un autre type, un héros de guerre avec des décorations, des principes et une morale. Il n'a fait de la prison qu'une fois pour ses opinions politiques. Il est végétarien et adore les animaux. Vous voteriez pour lui ?"
Fremantle hausse les épaules et acquiesce, moins parce qu'il est d'accord que pour permettre à Billy d'exposer son point de vue, ce qui est une forme plus passive d'accord.
"O.K, dit Billy. Le premier type est Martin Luther King, le second est Hitler. Vous venez de voter pour Hitler. Les faits ne vous disent rien."

"Tu crois que tes nouveaux amis du Nouveau-Mexique ont une influence dans les écoles de médecine ?" Encore une de ses bizarreries vietnamiennes, l'idée que dans le monde les amis s'entraident. Elle veut savoir si Billy peut faire entrer Jenna dans une école de médecine au Nouveau-Mexique. En Amérique, ce qui au Vietnam ne serait qu'un bon usage des ressources sociales devient corruption. Mais Fremantle imagine la réponse de Billy ou de Devlin à une telle demande. Ils comprendraient parfaitement. Ils auraient déjà les formules toutes prêtes pour régler la question. Fremantle se rend compte que c'est le genre d'affaire que Billy et Devlin concluent tous les jours. C'est comme ça qu'ils gardent leur place. Et Cara le comprend mieux que lui.

D'après la note en bas de l'écran il est "analyste politique", ce qui, avec analyste financier et expert en politique extérieure, est un des métiers où vous êtes payé une fortune pour passer à la télé et faire des prévisions insensées sans jamais devoir rendre de comptes si vous vous êtes trompé. ( p 197 )

La première chose que voit Billy Drake en descendant du camion est le corps d’un homme mort étendu par terre. Celui-ci ne porte qu’un pantalon noir qui n’est guère plus qu’une guenille, et ses cheveux sont emmêlés autour de son visage comme s’ils étaient mouillés. Billy remarque qu’il est petit et très maigre. On distingue nettement ses côtes. Il ne repère aucune blessure sur le cadavre étendu au soleil, manifestement vietnamien, et se demande s’il est mort de faim

Billy écoute les donateurs qui rédigent des chèques à l'occasion des collectes dans les hôtels, pas les gens qui mangent des burgers gratuits sur le parking d'une bibliothèque défunte. L'opinion de ceux-là aboutit sur la messagerie vocale.

Ce qu'il n'avait pas compris à l'époque, c'est qu'une fois que vous avez ri d'une tête tranchée, vous ne pouvez pas retourner travailler à l'usine ou dans un bureau et ronronner comme tous les autres. À ce stade, vous êtes une marchandise avariée. Et les types qui embauchaient ceux qui revenaient au pays le savaient.

Les militaires ont tiré une leçon du Vietnam. Pas la leçon militaire, qui est de ne pas se mêler d'une insurrection dans un pays étranger, mais la véritable leçon, qui est de ne pas permettre à une population entière de voir les images de l'inévitable issue.

Peterson secoue la tête. "Non, mon vieux. J'ai une telle couverture sociale que je ne sais pas dans quel putain d'hôpital aller. J'ai ma retraite du secteur scolaire, mes avantages en tant que vétéran. On s'occupe de moi. Mais ils ont fait une bonne affaire : ils n'auront plus à s'occuper de moi trop longtemps." Il sourit, un vrai sourire, et Fremantle revit les conversations qu'il a eues avec des soldats mourants, dans la jungle, des décennies plus tôt. Toujours nier qu'ils sont mourants. Ca va aller. C'est rien. J'ai vu pire. Mais ces hommes étaient jeunes, et Peterson approche les soixante-dix ans, il a les yeux vitreux, il est atteint d'un cancer, et, quand Fremantle s'apprête à protester, Peterson lève la main en riant. "Je veux vous remercier, dit-il.
_ De quoi ?
_ De m'avoir gardé en vie.
_ C'est vous qui vous êtes gardé en vie.
_ Non, mon vieux. Vous avez été un roc. Un bon sergent. Nous avons eu de la chance. Vous avez gardé beaucoup d'entre nous en vie. Vous ne nous avez jamais laissés tomber. Même quand c'est devenu la merde."
Fremantle sent les larmes monter. Personne ne l'avait remercié avant, sauf ces mercis creux qu'il reçoit de la nouvelle génération et qui ne veulent rien dire. C'est le premier témoignage de gratitude qui ne ressemble pas à une formule publicitaire (...) et un flot de larmes coule soudain de ses yeux tandis qu'il détourne la tête.
Il s'essuie les yeux et sent le bras de Peterson autour de ses épaules, "Merci sergent. Tout va bien. Tout va bien...tout va bien".