Je suis entré par hasard chez lui dans la cui-
sine, il avait alors Cécilia depuis près d'un an.
Ils se tenaient chacun d'un côté de la table de
cuisine, un livre était ouvert entre eux, un
recueil de poèmes de Elmer Diktonius. Ils se
disputaient. À propos, je crois, des vers dans
lesquels il est question de sortir du fouillis de
la masse, de devenir une montagne, de rire
vers le ciel et de ricaner vers les hommes.
L'un d'eux estimait qu'il fallait lire cela avec
le plus grand sérieux, que c'était ainsi justement
qu'il fallait comprendre l'existence, que cette
strophe décrivait le plus sérieux devoir de l'ego
confronté à sa propre existence, et communi-
quait l'image de la fierté et de la dignité d'un
être exemplaire.
En opposition à cette manière de voir les
choses, l'autre avançait que le poème se vou-
lait ironique, qu'il décrivait une attitude dont en
fait le poète se moquait, ce qu'il exprimait étant
alors un profond mépris pour les mépriseurs,
sans pour autant s'exprimer directement, le
poète cherchait à utiliser un miroir déformant
pour ainsi dire, afin de prêcher pour l'humilité
et la modestie. La pointe la plus acérée de la
poésie était dirigée contre la suffisance.
Ils s'emportaient à en faire trembler les tasses
de café sur leurs sous-tasses, lui avec s voix
de basse acerbe et sonore, elle avec sa voix claire
un tantinet enfantine. Ses r étaient considéra-
blement améliorés, mais, quand elle criait fort,
elle les mouillait à nouveau.
Ils ne m'avaient pas vu arriver, ils étaient
seuls, avec le livre entre eux, et ils ne se rendi-
rent pas compte que je me retirais discrète-
ment dehors.
pp. 134-5
Tout art doit avoir un sens, dit le prince Eugen. Ce n’est pas à l’observateur d’inventer le sens, il doit être inclus dans l’œuvre. Etre artiste, en fin de compte et fondamentalement, n’est rien d’autre que toute une vie de chasse aux sens, activité qui d’une certaine manière ressemble à la recherche du sens que l’on mène dans l’existence ordinaire, quoique d’une manière plus passionnée et plus intense. L’intention ultime est probablement d’augmenter la richesse du monde d’une conscience clairement formée de plus, d’une conscience qui a un nom. Et, ce faisant, l’artiste diminue ou limite sa propre précarité dans l’existence.
Le véritable motif du portrait de Mme Huot est constitué par la zone où le rideau vert suif de l’arrière-plan rencontre une lumière ocre-rouge indéfinissable, cette partie de la toile qui en fait ne représente rien et n’est tout simplement que de la couleur. Si on étudie très attentivement le tableau, on s’aperçoit même que la taille de l’ongle du pouce, où, sur le contour clair de l’un des pompons du rideau, une petite touche de jaune de chrome a été posée sur l’ocre-rouge.