– Quand les femmes iront à l'urne, elles voteront pour la prohibition, dis-je. Ce sont les épouses, les mères, et elles seulement, qui cloueront le cercueil de John Barleycorn…
– Je te croyais son ami, m'interrompit Charmian.
– Je le suis. Je l'étais. Je ne le suis jamais vraiment. Jamais je n'éprouve moins d'amitié pour lui que lorsqu'il est en ma compagnie et que j'ai l'air de lui être le plus fidèle. Il est le roi des menteurs et, en même temps, la franchise même. Il est l'auguste compagnon avec qui on se promène en la société des dieux. Mais il est aussi de mèche avec la Camarde [la mort]. Il vous conduit à la vérité toute nue et à la mort. Il produit des visions claires et des rêves immondes. Il est l'ennemi de la vie et le maître d'une sagesse supérieure à celle de la vie. C'est un meurtrier aux mains rouges, l'assassin de la jeunesse.
*John Barleycorn, littéralement «
Jean Grain d'orge » est la personnification de l'alcool, plus spécifiquement du whisky, populaire en Amérique du nord.
Ça y est, enfin, je l'ai.
John Barleycorn est le GRAND livre de London que je cherchais sans savoir.
John Barleycorn, ça cause alcool ; cette chose « sans laquelle nous choisissons ce que l'on veut bien montrer de nous-mêmes » disait
Bukowski.
Diantre ! j'en suis tout émoustillé, mon panthéon d'auteurs se retrouvent autour du même verre !
PAS.DU.TOUT.
John Barleycorn se veut un réquisitoire contre cet ami insidieux. Mais c'est surtout un fragment de la vie du grand London, aussi pur qu'un diamant brut car profondément intime.
S'il est question du rapport de l'auteur à l'alcool et que la majeure partie du livre fait figure de genèse de leurs relations, John Barleycorn s'attarde longuement sur l'adolescence étonnante de Mr London et n'est pas avare de détails autobiographiques. Il y dépeint particulièrement sa vie le long des docks d'Oakland et offre un paysage fourni de l'existence des marins de la baie, alcooliques endurcis luttant à bras le corps avec la vie et s'oubliant, à quai, dans l'ivresse des bars…
Non loin de s'astreindre à dépeindre une réalité dramatique, John Barleycorn enivre et c'est là tout le travail de London : plutôt que de s'acharner sur des dérives connues de tous, il retrace avec précision le chemin d'un garçon sans aucune prédisposition à la boisson (et qui rend franchement envieux, tant cette vie est aventureuse), mais qui finira malgré tout piégé dans ses filets. Car la question est celle-ci : comment se fait-il que si nombreux s'y jettent allègrement, quand le goût lui-même n'inspire d'abord que dégoût ? Parce que l'alcool a un caractère social et London ne lésine pas sur les exemples de scènes de beuverie qui lui attirèrent la sympathie de compagnons.
Contrairement à de nombreux écrivains, l'alcoolisme de
Jack London est moins connu. Ce n'était pas un alcoolisme tapageur mais plus intime.
Jack London avait une forte constitution qui le rendait moins enclin à une ivresse rapide (motif dérisoire de fierté). Néanmoins, à 15 ans, l'auteur est déjà un alcoolique notoire et cette erreur de jeunesse le poursuivra toute sa vie, le menant à voter en faveur du suffrage des femmes qui, selon lui, interdiront sa commercialisation.
Ce qui est drôle, c'est que John Barleycorn a été publié en 1913 et qu'en 1920 suit la prohibition aux États-Unis. Même si
Jack London est déjà, cette année, mort depuis 4 ans, on ne peut négliger l'impact probable de son livre dans cette conclusion, lui qui fut un des auteurs les plus influents du 20ème siècle.
John Barleycorn est un ouvrage magnifique qui s'enfonce dans les profondeurs des docks d'Oakland et tranche des fragments d'existence dans ces marins ivres de vie et aux destins souvent tragiques. C'est aussi un des livres qui en dit le plus sur cet auteur incroyable… À lire.
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