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Critique de kielosa


Imaginez que vous seriez obligé à choisir un seul auteur pour une évasion vers le plus de destinations possibles ? Je crois que le nom du journaliste français Albert Londres (1884-1932) s'imposerait incontestablement . En un quart de siècle il a fait le tour complet du monde ou presque : Buenos Aires, Cayenne, Constantinople, Dakar, Delhi, Jérusalem, La Mecque, Moscou, Prague, Saigon, Shanghai, Sofia, Tokyo, Trieste, Varsovie....ne sont que quelques noms d'escale. et après le nom de chaque ville, je pourrais ajouter au moins un titre d'ouvrage. Heureusement pour le monde et les lecteurs que ce voyageur infatigable ne s'est pas contenté de son premier job, comptable à Lyon !

Mais, malheureusement, pour nous et contrairement à un des titres de ses nombreux livres "Le juif errant est arrivé", il est mort beaucoup trop tôt, à l'âge de 47 ans. Il était, après 26 ans d'efforts, loin d'être arrivé à bout et il nous a laissé orphelins juste à une époque de grands troubles : les années 1930. Car ce journaliste engagé était ce que l'on pourrait qualifier de conscience de l'univers, si je puis dire. Puisqu'en effet, il ne se contentait pas à nous relater ses constantes pérégrinations, son but était bel et bien de dénoncer de graves injustices, telles les excès du colonialisme et tout genre de travail forcé.

Il était, en fait, bien longtemps avant que le terme n''apparaisse, journaliste d'investigation ! Je ne peux m'empêcher de répéter son fameux bon mot, souvent cité, car il résume parfaitement son engagement et ambition :"Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie." Cette phrase extraite de son ouvrage sur la traite des noirs "Terre d'ébène" , a été le point de départ pour nombre de journalistes et reporters sérieux qui se sont lancés dans ses traces. Pas surprenant dès lors qu'un an après sa mort tragique au champs d'honneur, en 1933, le prestigieux Prix Albert-Londres fût créé pour récompenser, chaque année, le meilleur reporter de la presse ecrite, doublé, depuis une trentaine d'années, par le prix du meilleur reporter de l'audiovisuel. Parmi les illustres lauréats je me limite à mentionner : Jean Lartégui, Marcel Niedergang, François Debré, Marion van Renterghem (connue pour son "Angela Merkel, l'ovni politique") et bien sûr la célèbre et courageuse Anne Nivat.

Le premier ouvrage que j'ai lu de lui a été "Le Chemin de Buenos Aires" sur la traite des Blanches, les "Franchuchas" ou prostituées françaises, envoyées par des gangs et souteneurs, sous toutes sortes de prétextes fallacieux, en Argentine, où pour les gauchos il n'y avait pas assez de femmes au début du siècle dernier. Ayant lu sur cette problématique l'excellent livre de base du professeur d'Ohio, Donna J. Guy, "Sex and Danger in Buenos Aires : Prostitution, Family and Nation in Argentina" la grande spécialiste de ce pays d'Amérique Latine, ce premier livre était pour moi comme un test pour juger la valeur d'un reportage de lui effectué en 1927 sur ce thème. le Nom d'Albert Londres m'était connu. bien entendu, mais je craignais que ses reportages étaient datés et n'offraient actuellement plus grand intérêt. Crainte totalement injustifiée ! Pour prendre l'exemple du trafic des françaises et autres européennes en esclavage sexuel à BA, son oeuvre complète, de façon vive, celui très académique de Mrs. Guy. Livre à succès en Europe, mais amèrement critiqué par la presse argentine qui estimait que notre reporter s'était montré trop indulgent à l'égard des proxénètes français, comme Victor le Victorieux ou Vacabana, surnommé le Maure. Accusation farfelue contredite par le dernier chapitre du livre, intitulé "La responsabilité est sur nous". Car le but de son auteur était d'alarmer les autorités afin que cette soumission et abus scandaleux des femmes cessent. Et d'ajouter :"À la base de la prostitution de la femme il y a la faim". et l'appel : "Surveillez les bateaux. Emprisonnez les ruffians." Qu'il avait rencontré ces maquereaux, va de soi, comme il sied à un bon journaliste d'investigation, d'autant plus que les autorités argentines se méfiaient de lui et n'offraient strictement aucune assistance.

Fort de mon expérience positive, je me suis mis à lire de lui "L'equipée de Gabriele d'Annunzio", puisque ce dramaturge et poète italien m'intriguait par son occupation, comme général nationaliste à la fin de la première guerre mondiale, de la ville croate de Rijeka, où il proclama l'État libre de Fiume.
Mon avis favorable d'Albert Londres s'y trouvait tellement bien confirmé, que je me suis mis à me procurer ces ouvrages systématiquement, jusqu'à je procède à l'achat de ses "Oeuvres complètes" , paru en 2007 et dont les quelques 900 pages sont merveilleusement introduites par Pierre Assouline. Je profite de l'occasion pour remercier la maison d'édition Arléa, qui est aussi 'responsable' de la divulgation de pratiquement tous ses livres en pockets à des prix démocratiques.

Le même Pierre Assouline a écrit une excellente biographie : "Albert Londres : Vie et mort d'un grand reporter, 1884-1932". de même que Luc Révillon "Albert Londres, Prince des Reporters". Sa fille, Florisse Albert-Londres, a finalement publié son témoignage émouvant sous le simple titre de :"Mon père", que je n'ai pas (encore) lu. Sur sa mort tragique dans des circonstances bizarres à la suite de l'incendie et naufrage du paquebot George Philippar au large de la Côte de Somalie, il convient de signaler 2 ouvrages : de Régis Debray "Sûr la Mort d'Albert Londres" et de Bernard Cahier "Albert Londres, Terminus Gardafui : Dernière enquête, dernier voyage".

Ne vous laissez surtout pas induire en erreur par la couverture un tantinet style carte postale érotique d'antan, qui couvre malheureusement bien le triste sujet et ne croyez pas qu'il s'agit d'une oeuvre porno soft. Je recommande donc cet ouvrage, qui malgré ses 90 ans, n'a rien perdu de son actualité, si l'on pense à toutes ces femmes principalement de l'est et du sud qui vivent aujourd'hui, hélas, le même calvaire que les 'Franchuchas', il y a un siècle, à Buenos Aires.

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