Le roman de la rose

Et si quelqu'un ose me contredire, se glorifiant de sa noblesse, et dit que les gentilshommes, comme les appelle le peuple, sont d'une condition supérieure, par la noblesse de leur naissance, à ceux qui travaillent la terre et vivent de leur labeur, je répondrai que nul n'est noble s'il ne pratique la vertu et que nul n'est vilain sauf par ses vices qui le font paraître insolent et sot.

Je les fais naître semblables et nus, qu'ils soient forts ou faibles, gros ou menus; je les mets à égalité pour ce qui est de l'état d'humanité; c'est Fortune qui se charge du reste, elle qui ne sait être constante, qui distribue ses biens selon son bon plaisir sans prendre garde au bénéficiaire et tout reprend ou reprendra toutes les fois qu'elle le voudra.

Qu'il soit roi ou qu'il n'ait pas vaillant deux poix chiches, celui qui convoite le plus est le moins riche.

Mais c'est un trop méchant bavard que Malebouche le cancanier ! Jalousie en a fait sa sentinelle : c'est lui qui nous guette tous; cet individu braille et crie sans que l'on puisse s'en défendre, tout ce qu'il sait et même tout ce qu'il pense, et il invente même la matière quand il ne sait pas de qui médire.

D'ailleurs les yeux atteints d'infirmité et devenus troubles font bien voir double un objet unique, et croire qu'il y a dans le ciel une double lune et deux chandelles quand il n'y en a qu'une. Il n'y a personne que sa vue ne trompe, même en étant attentif, et c'est pourquoi maintes choses sont jugées bien autres qu'elles ne sont en réalité.

Cependant (puisque je dois suivre le chemin de la vérité), Salomon déclare qu'il serait bienheureux, l'homme qui trouverait une femme bonne.

"Assurément, seigneur prêtre, vous parlez bien, comme un homme de valeur, courtois et sage; les femmes ont en leur coeur trop d'ingéniosité et trop de malices. qui ne le croit est fou et sot, et nous ne les en excusons pas. (...)-car il n'y a pas d'être qui ne jure et ne mente plus hardiment qu'une femme."

D'autre part, je considère comme tout à fait scandaleux, puisque tu sais ce que valent les belles-lettres et qu'il te faut les étudier, que tu ne te souviennes pas d'Homère, puisque tu l'as étudié. Mais il me semble que tu l'as oublié : n'est-ce pas peine perdue et inutile? Tu t'appliques à étudier des livres et par négligence tu oublies tout. A quoi sert tout ce que tu étudies, si le jugement te fait féfaut quand tu en auras besoin, et cela uniquement par ta faute?

"Cher Père, dit la demoiselle, il y a là l'annonce d'une mauvaise nouvelle ; votre orgueil ne vaut pas une coque de noix. Sachez que Fortune se moque de vous!"

En ce lieu (...), le rossignol y chante rarement, mais on y entend beaucoup le cri et les plaintes du chat-huant à grosse-tête, ce prophète de malheur, hideux messager de douleur.