Le roman de la rose

Maudite soit Richesse, qui fut vilaine avec moi, qui pas un instant n'a fait appel à la pitié, quand elle m'a refusé l'entrée du petit sentier qu'elle gardait -mais elle ne se méfiait pas de celui par lequel je suis entré en cachette, à pas précipités !

-Pour de vrai, (...), n'y aurait-il que moi, je ne serais pas émue par vos menaces! (...)
Par la chair de Dieu, j'ai l'intention d'incendier tout l'enclos, de raser tours et tourelles. Je vous échaufferai les fesses, je ferai brûler piliers, murs et poteaux...Vous aurez beau faire la farouche, tout le monde s'y jettera; ils iront tous en procession sans faire aucune exception au milieu des rosiers et des roses, quand j'aurai ouvert les lices. (...)
: le diable qui les pique ainsi leur donnera des chapeaux d'orties.

Je vais vous enseigner d'autres merveilles : les rayons de ce soleil ne troublent ni ne gênent les yeux qui les regardent; ils ne les éblouissent pas, mais renforcent, réjouissent et revigorent leur vue quand ils voient leur sublime clarté, pleine d'une chaleur tempérée qui a le merveilleux effet de remplir tout le parc de parfum grâce à la grande douceur qui en émane.

"Ici coule la fontaine de vie, sous l'olivier feuillu, qui porte le fruit de salut." (...), tant elle est belle et de grande noblesse.
Mais il n'y a pas de soleil pour l'illuminer, parce qu'elle est d'une eau si pure, si claire et si lumineuse que le soleil qui éclaire dans l'autre fontaine le double cristal paraîtrait obscur et trouble à côté d'elle. Bref, que vous dire? Il n'y a pas d'autre soleil qui rayonne dans le parc que cette escarboucle flamboyante : c'est le soleil qu'ils ont là, et qui resplendit plus magnifiquement qu'aucun autre soleil au monde.

(...), je lui réglerai son compte devant Dieu (...), puisqu'il me cause tant de tourments! Je suis femme et je ne peux me taire. Non je veux désormais tout révéler, car une femme ne peut rien cacher et il va se faire vilipender comme jamais il ne l'aura été. (...)
Ses vices seront alors exposées et je dirai la vérité sur tout.
Il est orgueilleux, meurtrier et larron, félon, cupide, avare, tricheur, dépourvu d'espérance et plein de médisance, haineux aussi et méprisant, mécréant, envieux, menteur, parjure, faussaire, sot, vantard, glouton, inconstant et insensé, idolâtre, ingrat, traître et fieffé hypocrite, paresseux et sodomite. En un mot, il est si misérable et si sot qu'il est esclave de tous les vices sans exception, et il héberge tous en lui.

Pourquoi vous flatterais-je? Fortune vous attend au gibet, et lorsqu'au gibet vous tiendra la corde au cou, alors elle reprendra la belle couronne dorée dont elle a couronné votre tête, et un autre en sera couronné, auquel vous ne prenez pas garde.

Le cours de ce fleuve est si tortueux et se perd à travers tant de défilés, qu'il se jette, avec tout son poison de malheur, dans le fleuve de douceur et qu'il en change complètement la nature, par sa puanteur et sa chaleur, en lui communiquant sa pestilence pleine de funeste infortune : il rend ses eaux amères et troubles à force de l'empoisonner et de le troubler ; il lui fait perdre l'agrément de sa tiédeur en y mélangeant sa chaleur excessive ; il lui enlève même sa bonne odeur, tant il apporte à son hôte de puanteur.

Il est vraiment à plaindre et indécrottablement sot, celui qui imagine qu'ici-bas se trouve sa patrie: notre pays n'est pas sur terre, c'est là une vérité dont on peut s'enquérir auprès des clercs qui lisent la Consolation de Boèce et les pensées qui s'y trouvent -en la matière, il ferait le plus grand bien aux gens qui ne sont pas instruits, celui qui leur en ferait une bonne traduction.

Seigneur, la vertu première, la plus grande, celle qui est la plus souveraine parmi celles qu'un mortel puisse posséder, par science ou de façon innée, c'est de tenir sa langue: à cela, chacun doit s'efforcer, car toujours il est préférable de se taire plutôt que de proférer de mauvaises paroles; quant à celui qui les écoute volontiers, il n'est pas homme de bien et ne craint pas Dieu.

...je vis arriver dans ma direction, tout droit, un jeune homme beau et aimable dans lequel il n'y avait aucun défaut: on l'appelait Bel Acceuil, et, c'était le fils de Courtoisie la sage. (...)
Mais un vilain, que la honte soit sur lui! près de là était caché; il s'appelait Danger, et c'est lui qui avait fermé et gardait tous les rosiers. (...) Il n'était pas seul ce chien, mais avait pour compagnon Malebouche le médisant, et avec lui Honte et Peur. De ces individus, c'est Honte qui valait le mieux et sachez que, pour donner une idée juste de sa parenté et de son lignage, elle était la fille de Raison, la sage, et que son père s'appelait Méfait, qui est si hideux et si laid que jamais Raison n'a couché avec lui, et qu'elle a conçu Honte rien qu'en le voyant.